Alice Barraud – Comment retrouver l’envol après un drame ?

« M.E.M.M. », les 13 et 14 avril aux Chapiteaux de la mer à La Seyne

Dans son spectacle M.E.M.M. en duo avec Raphaël de Pressigny – le batteur du groupe Feu! Chatterton –, la circassienne et voltigeuse Alice Barraud revient sur ses années de reconstruction qui ont suivi les attentats du 13 novembre 2015, dont elle a été une des victimes. Sans pathos et avec une force vitale communicative. Un spectacle programmé par Le POLE, Arts en circulation.

Alice Barraud, quelle est votre formation artistique ?
J’ai été formée au Centre régional des arts du cirque de Lomme, près de Lille. J’y ai appris la technique des portés acrobatiques, de main à main, avec Mahmoud Louertani et Abdel Senadji. J’ai aussi suivi une formation pour devenir artiste clown. Depuis l’adolescence, je pratiquais toutes sortes de danses, je voyais des spectacles de cirque contemporain, et lorsqu’on me demandait ce que je voulais faire plus tard, je répondais toujours : être dans les arts du cirque ! C’était mon rêve. Mes parents m’ont demandé de passer d’abord mon bac, c’est donc ensuite que j’ai pu intégrer cette formation supérieure. À la sortie de l’école, j’ai commencé à travailler avec le Prato (Pôle national des arts du cirque de Lille) et à écrire mes spectacles.

Que signifie M.E.M.M. ? Dans quel contexte avez-vous écrit ce spectacle ?
M.E.M.M., ce sont les premières lettres de « au Mauvais Endroit au Mauvais Moment ». C’était ce qu’on me répétait tout le temps quand on venait me voir à l’hôpital. J’ai commencé à écrire dans mes carnets dès le lendemain des attentats. J’ai d’abord écrit pour moi, pour tenter de comprendre ce qui m’arrivait, puis aussi pour prendre de la distance. Je notais tout ce qui me venait, des dialogues, des poèmes. Le spectacle est né de ces carnets que j’ai continué à tenir les années suivantes.

Quelle forme prend le spectacle ? Quel est le rôle de la musique ?
Le spectacle est un mélange de tous les arts vivants. Il y a du théâtre, de la danse, de la musique en live. La musique est intervenue très tôt dans la création du spectacle. Raphaël (de Pressigny) est venu me voir dans ma première résidence de rééducation, et lorsque je n’arrivais pas à exprimer ce que je ressentais, que j’étais bloquée, il improvisait avec son instrument. Du coup, je me laissais aller aussi à improviser, et c’est comme ça que j’ai réussi à faire sortir des choses que je ne pensais pas pouvoir atteindre. Par sa bienveillance, Raphaël a été comme un magicien, un accoucheur.

Vous arrive-t-il d’improviser durant le spectacle ?
Oui. On se laisse des moments d’improvisation. Donc, en quelque sorte, chaque représentation est unique. On avait remarqué qu’en figeant, qu’en écrivant des chorégraphies ou des musiques, on s’empêchait, nous, un espace de liberté, un espace de plaisir absolu. On a décidé de garder cela ouvert. Il s’agit d’improvisations un peu comme dans le jazz, avec des points de rendez-vous, j’ai des appels pour lui et lui en a pour moi, mais en tout cas ce langage-là est chaque soir différent. Cet espace est un endroit assez merveilleux, je n’aurais pas vraiment de mots pour le décrire. La dimension du langage corps-musique est très importante dans le spectacle.

Que souhaiteriez-vous que le public retienne de votre spectacle ?
S’il y a un message que je voulais faire passer, c’est que même dans les moments les plus durs, peut-être même dans les tragédies, il y a du beau, et le beau se mélange au moche, et aux pleurs se mélange du rire. Dans un parcours d’école de cirque, on apprend à tomber pour réussir ses figures. Il y a d’abord l’apprentissage de la chute dans ce métier, mais dans la vie on n’apprend pas à chuter. J’étais tombée dans un trou très profond, comment allais-je faire pour me relever ? Je crois en cette puissance humaine qui fait que, si l’on parle les uns avec les autres, on se donne des clés. Alors j’ai eu envie de raconter cette expérience-là, par laquelle j’ai essayé de sortir du trou, pour la partager avec les gens.

Dominique Ivaldi

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