Alice Masson & Quentin Gibelin – « La Belle Hélène » dans un futur dystopique.
« La Belle Hélène » du 13 au 18 mai au Liberté à Toulon.
L’Opéra de Toulon, toujours hors-les-murs, se déplace au Liberté pour « La Belle Hélène » dans une version audacieuse mise en scène par Alice Masson et Quentin Gibelin. En transportant l’opéra bouffe dans un futur post-apocalyptique sans technologie, les deux metteurs en scène renouent avec l’esprit satirique d’Offenbach tout en injectant une bonne dose de modernité, d’humour et d’engagement écologique.
Pourquoi avoir placé cette « Belle Hélène » dans le futur ?
Alice : Offenbach et ses librettistes utilisaient déjà des anachronismes pour commenter leur époque. Par exemple, bien que l’histoire se passe dans la Grèce antique, ils introduisaient le train, une invention technologique récente pour eux. Nous avons voulu prolonger cette idée, en choisissant un futur dystopique sans électricité ni technologie. Cela nous permet de revenir à une théâtralité plus brute, sans téléphones ni écrans, ce qui résonne avec nos préoccupations actuelles sur l’effondrement sociétal.
Quentin : Ce choix permet de maintenir l’esprit parodique d’Offenbach. De notre côté, dans notre futur, on croise des éléments comme des drones, ce qui ajoute à l’aspect décalé et actuel tout en respectant l’esprit de l’œuvre. Et cela nous permet d’échapper aux clichés de la Grèce antique, comme les toges blanches. Dans un monde post-effondrement, les personnages s’habillent avec ce qu’ils trouvent : des vêtements vintage ou bricolés. Cette liberté esthétique est très importante pour nous, car elle nous permet de suggérer des références antiques sans tomber dans le piège de l’imagerie trop classique.
Alice : Ce choix nous permet aussi d’introduire d’autres références historiques et de créer un lien vivant avec le public. À l’époque d’Offenbach, la comédie tournait en dérision la Grèce antique, et c’est exactement ce que nous cherchons à faire en parlant de notre présent, avec cette même critique joyeuse et accessible.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans cet opéra ?
Alice : On adore l’opéra bouffe, un genre où les artistes, après la Révolution, ont pu se moquer du pouvoir et des inégalités sociales. Offenbach, Lecocq et Chabrier traitent souvent des puissants avec dérision. Dans « La Belle Hélène », la critique de cette caste dominante, qui décide de ce qui est beau ou important, résonne fortement aujourd’hui. Et cette phrase « C’est la Grèce qui paiera » résume parfaitement l’idée : ce sont toujours les peuples qui paient les conséquences des décisions des puissants.
Quentin : Ce qui nous frappe, c’est aussi comment des histoires personnelles, comme celle d’Hélène et Paris, mènent à la plus grande guerre de la mythologie, la guerre de Troie. Ce parallèle avec des décisions absurdes ayant des conséquences dramatiques nous semble tout à fait d’actualité. L’aspect satirique est essentiel pour nous : tout le monde est un peu bête et égoïste. Il n’y a pas de « gentil » à sauver. Ce n’est pas une révolution qu’on veut, mais prendre la place des puissants.
Alice : Offenbach a écrit pour des scènes populaires, la musique appelle le mouvement et le geste. Nous utilisons la danse, la pantomime et des mouvements absurdes comme des palmes à la plage ou des bulles de savon au lieu de paillettes pour garder un ton joyeux et irrévérencieux. Nous venons aussi de la danse, ce qui nous permet d’apporter un dynamisme supplémentaire.
Quentin : Nous faisons également attention à l’impact écologique. Les costumes viennent beaucoup de la récupération de stock, les bulles de savon c’est plus écologique… Le choix de placer l’histoire dans un futur effondré nous permet de justifier esthétiquement l’utilisation d’objets usés ou dépareillés, ce qui correspond aussi à notre approche minimaliste.
Quentin, vous êtes en charge des costumes et Alice, de la chorégraphie, pouvez-vous nous en parler ?
Quentin : Les costumes sont essentiels. Ils racontent non seulement la personnalité du personnage, mais aussi la manière dont il interagit avec l’espace. Par exemple, porter des talons de 10 cm influence la démarche, ce qui se traduit par une nouvelle façon de jouer. Le costume devient un allié de l’interprète, et cela touche également le décor.
Alice : Les personnages ont des contraintes physiques spécifiques qui influencent la chorégraphie. Par exemple, Achille est en béquilles car il a mal au talon, ce qui devient un moteur chorégraphique. Nous avons intégré des éléments de danse baroque, classique et hip-hop pour créer une gestuelle hybride, tout en respectant les contraintes du chant.
Comment avez-vous choisi les chanteurs ?
Alice : C’est Jérôme Brunetière, directeur de l’Opéra qui a réalisé le casting, mais nous avons demandé des artistes capables de s’amuser et de jouer avec leur corps, qui accepteraient de se moquer de leur image. Anne-Lise Polchlopek, qui interprète Hélène, a par exemple accepté de porter des faux seins !
Quentin : Il est crucial d’avoir des artistes capables de se laisser aller, d’accepter la vulnérabilité. Nous avons aussi une belle complicité avec notre chef d’orchestre, Romain Dumas, qui a énormément enrichi notre travail en réintégrant des éléments originaux dans la partition ou en réécrivant certaines parties.
Alice : Il a joué un rôle central dans le projet. Il est aussi passionné par le côté théâtral de la production et nous avons travaillé ensemble sur des bruits de scène mal faits, comme un coup de fusil un peu raté, ce qui ajoute une touche humoristique.
Fabrice Lo Piccolo