ANNE CLERGUE – Lucien Clergue, le méditerranéen

Du 10 juin au 18 septembre – Maison de la Photo, Galerie des Musées, Musée d’Art de Toulon – Toulon

Lucien Clergue est l’un des photographes les plus reconnus au monde. Il est né à Arles, ville dans laquelle il fondera le célèbre festival de photographie. La ville de Toulon le met à l’honneur dans trois lieux d’exposition. Nous avons rencontré Anne, sa fille, qui a réalisé le commissariat.

 

Vous parlez de cette triple exposition comme d’une proposition nouvelle, avec une lecture inédite…

Nous mettons l’accent sur le langage des sables. Le grain de sable est la genèse de son travail, tu es né poussière et tu redeviendras poussière. Il a photographié ces plages de Camargue, totalement désertiques… Sa thèse de troisième cycle était sur ce langage des sables, qui est finalement l’histoire de l’humanité. C’est aussi en rapport à l’urgence écologique. On observe ce qui se passe sur la plage, le travail du vent, de l’eau, puis vient l’homme, son chien, une empreinte, une voiture, un pneu, puis les déchets, ses bouteilles plastiques. C’est un travail en noir et blanc, très doux, très uniforme, en contraste avec la tragédie humaine de l’homme qui abime la nature. Ce travail a fait l’objet d’un livre en 79, avec une introduction de Roland Barthes et cette phrase : « Les sables ne sont plus une étendue vaste et sans surprise, sans accident, mais ils sont mille autres choses, Clergue refait d’autres sables ». Ces photos, d’une puissance extraordinaire aujourd’hui, amènent le spectateur à continuer à s’interroger sur ce que mon père a vu dès les années 70.

 

L’exposition est nommé « Lucien Clergue, le méditerranéen », comment cette appartenance se manifeste-t-elle ? 

Par son tropisme pour la mer, le sable, Aphrodite qui sort de l’eau… Il a été bouleversé par une enfance misérable, sa mère est malade, il a une adolescence difficile, et au départ, il photographie la mort. En 56, il commence à faire des nus, mais il coupe la tête de ces femmes, pour les rendre intemporelles, comme des statues grecques. Il disait souvent : « c’est beau comme l’antique ». Mon père détestait le soleil et ne savait pas nager. On allait à la plage en famille. Il s’ennuyait, mais faisait son shopping du regard. Et quand le soleil baissait, il proposait aux gens qui étaient là. Il photographiait la vie pour reculer les portes de la mort : il était extrêmement angoissé, c’était un exorcisme. Son œuvre est accessible, sans aucune ambigüité érotique. Au cabinet d’art graphique du Musée, nous montrerons ces « Nus de la mer », mais aussi des nus de la ville. Il transporte cette femme à New York, et cela devient très graphique, plus abstrait et mystérieux.  

 

A la Maison de la Photo, vous montrerez des photographies autour de Jean Cocteau, et d’autres autour des gitans, qu’est-ce qui unissait votre père au cinéaste, et à ce peuple ?

Il rencontre Picasso en 53, à Arles, à la sortie d’une corrida, et une amitié très forte se crée. Sur ses conseils, il rencontre Cocteau en 56, qui lui permettra d’illustrer les poèmes de Paul Eluard dans « Corps Mémorables » avec ses nus de la mer, pour un succès phénoménal. Cocteau tourne « Le testament d’Orphée » en 59 et invite mon père sur le tournage pour photographier ce qu’il veut. Sont présents Yul Brynner, Charles Aznavour, Picasso, et il est entraîné dans cette histoire formidable de cinéma. Mon père a d’ailleurs fait de nombreux courts métrages, dont certains ont gagné des prix à Cannes. Il va aussi faire se rencontrer Cocteau et les gitans. Mon père habitait le quartier de la Roquette, extrêmement pauvre, où résidaient les gitans. Il y a rencontré le père des Gipsy Kings, Jose Reyes, puis Manitas de Plata dont il est devenu impresario. Il était fasciné par leur liberté. Ce sont les fils du vent, ils sont comme les chevaux sauvages. Il a un regard très bienveillant et très poétique sur eux. Il montre aussi la pauvreté, mais surtout cette liberté et leur personnalité formidable, leurs visages racés, l’intensité de leur esprit libre qui envahit tout…