Asian Dub Foundation – Trente ans de musique engagée.
>> Le 1er mars au Live à Toulon
Le groupe anglais, qui fête ses trente ans, distille un son mêlant les influences de leurs origines sud-asiatiques à des rythmes jungles, des basses dub, des guitares saturés et un chant proche du rap. Avec un nouvel album reprenant leurs collaborations, une tournée anniversaire, et toujours cette énergie explosive sur scène, le groupe prouve que sa musique n’a rien perdu de sa pertinence. Entretien avec Steve « Chandrasonic » Chandra, guitariste et l’un des membres fondateurs. Un concert programmé par Tandem SMAC.
Vous fêtez les trente ans du groupe avec une tournée et un album spécial. Comment vous sentez-vous après trois décennies de concerts et d’albums ?
C’est une question difficile, car cela mélange des sentiments contradictoires. La musique, c’est avant tout le moment présent, l’instant. Je ne suis pas quelqu’un de nostalgique. Mais en regardant en arrière, je réalise que c’est assez unique : Asian Dub Foundation a toujours pris des positions politiques et sociales fortes, sans jamais compromettre sa musique pour des raisons commerciales. C’est une belle chose à célébrer. Dans l’album « 94-Now: Collaborations », je suis très heureux de réunir une telle diversité de voix. Nous avons même un nouveau single, « Broken Britain « , avec un nouveau jeune MC, Chowerman . Ce qui est beau, c’est que nous l’avons créé de la même manière qu’il y a trente ans, et c’est toujours pertinent.
Quels moments marquants retenez-vous de ces trente années ?
Il y en a tellement ! Je reviens du Japon. Une personne là-bas m’a parlé d’un concert au Larzac où plus de 100 000 personnes étaient présentes. Il y a eu nos ciné-concerts sur « La Haine « et celui sur « La Bataille d’Alger « au Musée de l’Immigration en 2019, un lieu très symbolique. J’ai également des souvenirs incroyables de notre concert au pied du mont Fuji au Japon, ou encore de collaborations marquantes. Par exemple, travailler avec Sinead O’Connor, une personne très spéciale. J’ai écrit et composé « 1000 mirrors « qu’elle a chantée, et j’étais stupéfait qu’elle accepte de le faire. Un autre moment mémorable fut notre collaboration avec Iggy Pop sur le morceau « No fun ». Après un concert, Iggy est venu me voir et m’a dit : « Vous êtes un groupe très difficile à suivre sur scène ! ». C’est là qu’on a décidé de créer un morceau ensemble. Ou encore Chuck D, un de mes rappeurs préférés.
Votre album anniversaire, « 94-Now: Collaborations », revisite vos collaborations passées. Que représente cet album pour vous ?
C’est une sorte de best-of de nos collaborations les plus significatives. Nous avons aussi fait des réarrangements et ajouté des voix nouvelles, comme celle d’une chanteuse japonaise sur « Raj Antique Store « , une chanson que j’ai écrite, presque romantique ce qui est rare pour ADF. Cette chanson a été enregistrée au Japon, et nous nous sommes dit : « Wow, d’où est-ce que ça sort ? »
Asian Dub Foundation est aussi connu pour être l’un des meilleurs groupes live. Quel est le secret d’un concert réussi ?
Je pourrais écrire un livre là-dessus ! Quand j’ai rejoint ADF, les concerts étaient assez spontanés et bruts. Mais très vite, nous sommes devenus un excellent groupe live. Les gens venaient nous voir sans trop savoir à quoi s’attendre. Ils voyaient des artistes asiatiques sur scène et imaginaient des clichés : musique yogique, bhangra… Et là, on arrivait avec une musique puissante, originale, un mélange explosif de jungle, de hardcore, de guitare punk, et un chanteur charismatique. En cinq minutes, on imposait quelque chose de différent, impossible à ignorer. Chaque élément de notre musique – les basses lourdes, le DJing, les rythmes agressifs – créait une énergie unique et inattendue.
Qu’allez-vous jouer à Toulon le 1er mars ?
Un mélange de morceaux de nos derniers albums et des classiques de ces trente dernières années. Ce n’est pas facile de construire un set avec autant de titres, mais c’est excitant d’imaginer ce que nous pourrons encore proposer à l’avenir, dans la prochaine décennie.
Vous êtes un groupe engagé. Comment voyez-vous le monde après trente ans de militantisme à travers la musique ?
C’est une question très vaste. Le monde est dans une situation compliquée. Mais mon espoir repose sur les jeunes générations, celles qui grandissent dans un monde numérique. Ces enfants, qui atteindront bientôt l’âge adulte, auront des idées nouvelles et des perspectives différentes de celles que nous avons aujourd’hui. Les défis sont nombreux – éducation, environnement, justice sociale – mais j’ai foi en leur créativité et leur volonté de changer les choses.
Et la musique, comment a-t-elle évolué selon vous ?
La créativité est intemporelle. J’entends autant de musique incroyable aujourd’hui qu’il y a trente ans. À Londres, par exemple, des artistes émergent de la rue avec des idées incroyablement innovantes. Mon fils de dix ans m’a fait découvrir un musicien qui mélange drill et influences du monde entier. C’est fascinant. Contrairement à d’autres, je ne ressens pas le besoin de me plaindre de la musique actuelle. Ces deux ou trois dernières années, j’ai vu des choses tellement cool. Il faut savoir avancer avec son temps.
Fabrice Lo Piccolo