Bertrand Guerry & Sophie Davout – Le deuil en clair-obscur.
Le bonheur est une bête sauvage – En salles le 2 juillet
Avec « Le Bonheur est une bête sauvage », Bertrand Guerry signe une fable douce-amère sur le deuil, portée par l’interprétation sensible de Sophie Davout, également coautrice du scénario. Ensemble, ils livrent un film singulier, entre burlesque et mélancolie, tourné sur l’île d’Yeu. Rencontre lors de l’avant-première au Pathé La Valette.
Le film aborde la résilience et le deuil avec poésie et décalage. Comment avez-vous travaillé ensemble pour donner ce ton si singulier à l’écriture et à la mise en scène ?
Bertrand : On ne voulait pas faire un film lourd, encore moins misérabiliste. Ce qui nous intéressait, c’était de raconter la violence d’un choc et le lent retour au monde, mais à travers un regard un peu décalé, pas frontal. Le burlesque s’est imposé assez tôt, comme une manière de dire l’inconfort, le déséquilibre. Travailler avec Sophie sur l’écriture m’a permis d’explorer cette zone grise entre le drame et l’absurde.
Sophie : On avait cette volonté de traiter le sujet sans appuyer, sans psychologie pesante. On est passé par des détours, des images, des silences aussi. L’idée n’était pas de construire un discours sur le deuil, mais de l’éprouver à travers un personnage qui avance à côté d’elle-même, en boitant un peu. C’est ça qui donne au film son étrangeté, sa douceur aussi.
Sophie, vous incarnez Jeanne, un personnage en reconstruction, et vous avez aussi coécrit le scénario. Quelles parts de vous retrouve-t-on dans ce rôle et dans cette écriture ?
Jeanne, ce n’est pas moi, mais il y a beaucoup de moi dans sa manière d’être à côté du monde, dans sa façon d’absorber les choses sans les exprimer. Écrire le personnage m’a permis de l’habiter en douceur, sans chercher à « jouer » quoi que ce soit. J’ai travaillé la retenue, le silence, le regard. Il fallait laisser respirer cette femme, ne pas la figer dans un statut de victime. Et puis il y a une forme d’humour que je partage avec elle, une distance parfois un peu étrange aux choses, qui me touche.
Bertrand, vous avez choisi de tourner sur l’île d’Yeu, qui devient presque un personnage du film. Comment avez-vous construit cette relation entre le décor et l’état émotionnel de vos personnages ?
L’île est arrivée très tôt dans le processus. Ce n’est pas juste un décor : c’est un espace mental, un endroit à la fois clos et ouvert. Il y a quelque chose de suspendu là-bas, un temps différent. On y a tourné dans une période où l’île était vide, comme en sommeil. C’était important pour refléter l’état de Jeanne. Les paysages, le vent, la mer — tout ça entre en résonance avec son intériorité. On n’a pas cherché à illustrer, mais à faire dialoguer le réel avec l’émotion.
Le film mêle drame, burlesque et contemplation. Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre ces registres pour ne jamais trahir l’émotion ni la légèreté ?
Sophie : C’était tout l’enjeu. On ne voulait pas juxtaposer des effets, mais que ces tonalités circulent ensemble. Ce qui fait le lien, c’est la sincérité. Même dans le burlesque, on ne cherche jamais à faire rire. Ce qui nous touche, c’est ce moment fragile où le tragique bascule vers l’absurde, où le corps réagit avant la tête.
Bertrand : On a pensé le rythme comme une respiration, avec des plages de silence, des fulgurances. Le montage a été crucial pour ça. L’équilibre s’est trouvé dans le regard porté sur les personnages : toujours tendre, même dans l’inconfort.
Grégory Rapuc