Carolyn Carlson – Poésie visuelle.

>> The Tree, le 30 mars au théâtre de l’Esplanade à Draguignan.

Carolyn Carlson est une chorégraphe majeure de notre temps. Héritière de l’enseignement d’Alwin Nikolais, elle a créé plus d’une centaine de pièces, a été Etoile-Chorégraphe à l’Opéra de Paris, directrice artistique au Teatrodanza de Venise, a obtenu un Lion d’or, est commandeur des Arts et Lettres, dans l’ordre de la légion d’honneur et membre de l’Académie des Beaux-Arts. Tournée vers la philosophie et la spiritualité, elle présentera sa dernière pièce lors du festival L’Imprudanse..

Votre dernière création, « The Tree », complète le cycle de vos pièces inspirées par Gaston Bachelard. Qu’est-ce qui vous intéressait dans l’œuvre de ce philosophe ?
C’est un philosophe incroyable. J’ai étudié à l’université d’Utah son œuvre « La poétique de l’espace » et depuis j’ai travaillé sur « L’eau et les rêves » et « L’air et les rêves ». Cette fois, j’ai choisi « Fragments d’une poétique du feu ». J’aime qu’il cite autant les poètes : je considère mon travail comme de la poésie, et l’appelle d’ailleurs poésie visuelle. Je suis tellement intriguée par toutes ses déclarations. Moi je suis un signe d’eau, et cet élément est important pour moi. Lui parle du feu comme représentant notre imagination, notre monde intérieur. Ce spectacle concerne mon amour pour la nature, je considère l’humanité comme co-créatrice avec la nature, pas séparée d’elle. Je m’intéresse aussi à Carl Jung. Ce sont des maîtres de la pensée, et peut-être que je suis une maîtresse de la danse. Nous, nous nous exprimons à travers le corps, mais aussi l’énergie et l’esprit.

Vous parlez de Poésie visuelle pour vos créations, comment créez-vous vos tableaux dansés ?
J’adore la poésie car ce n’est pas une histoire, mais des vers qui créent des images. J’aime apporter des images au public, éveiller son imagination et qu’il ait sa propre interprétation. On dit tellement de choses, on parle tellement, alors que le public doit simplement ressentir visuellement et avec son monde intérieur. On me dit souvent : « je n’ai pas tout compris, mais vous avez touché mon cœur ».

Comment collaborez-vous avec vos danseurs ?
Je travaille très étroitement avec eux : j’arrive avec des photos, des poèmes, des idées et leur propose. Ils sont avec moi depuis quinze ou vingt ans, mon assistante depuis vingt-trois ! Au départ, nous improvisons pour créer les scènes. Pina Bausch travaillait de la même façon, même si notre travail est différent. Chacun a sa propre interprétation, mais bien sûr je peux dire non si ça ne fonctionne pas. Quand je travaille pour l’Opéra de Paris ou les Ballets de Bordeaux, je crée la chorégraphie, mais avec ma compagnie, nous sommes tous un peu co-directeurs.

La musique est créée spécialement pour cette pièce…
Elle est fondamentale pour moi. J’ai demandé aux compositeurs de travailler autour de mes idées. J’ai fait appel à mon fils, Aleksi Aubry-Carlson, à René Aubry et à Maarja Nuut, une compositrice estonienne incroyable…

Votre scénographie s’appuie sur les tableaux projetés de Gao Xingjian et la création lumière de Rémi Nicolas, pouvez-vous nous parler de votre collaboration ?
Rémi est un artiste incroyable, ses lumières illuminent la présence des danseurs. Ses images d’arbres, projetées sur scène, créent une ambiance mystique. C’était son idée de projeter les toiles abstraites, réalisées à l’encre de chine, de Gao, dans un cercle au-dessus de chaque scène, comme dans une lune. Cela crée un mystère. Dans une œuvre, tout ne repose pas sur la chorégraphie, ce sont aussi les lumières, les costumes, l’énergie.

Cette création parle de l’urgence environnementale, en quoi selon vous l’art peut-il contribuer à ce type de causes ?
Franchement, je suis inquiète, je vois les calottes glaciaires qui fondent et les océans qui montent, et c’est l’humanité qui a fait cela. Mais il y a de nombreuses personnes douées qui travaillent là-dessus, sur les panneaux solaires, les éoliennes… Espérons que nous ne franchirons pas la limite. J’ai grandi en Californie, près de l’océan Pacifique et de la forêt, j’ai un grand amour pour la nature. Mais je ne transmets pas de message comme « achetez une voiture électrique », je le fais de façon poétique.

En tant que chorégraphe majeure du XXe et XXIe siècles, un conseil pour les jeunes chorégraphes ?
Suivez votre cœur et ne renoncez pas. Il m’est arrivé d’avoir des refus à l’université mais finalement j’ai réussi car je n’ai jamais abandonné.
Fabrice Lo Piccolo

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