CATHERINE CUSSET – Seul l’art donne accès à l’éternité

MA VIE AVEC MARCEL PROUST

Catherine Cusset a publié de nombreux romans dont « Le Problème avec Jane » et « La haine de la famille ». Après trente ans de vie new-yorkaise, elle habite désormais à nouveau en France et, invitée à la Fête du Livre d’Hyères, viendra rencontrer ses lecteurs et présenter deux nouveaux ouvrages parus récemment.

À la Fête du livre d’Hyères, vous présenterez deux de vos récents ouvrages, pouvez-nous nous parler de votre nouveau roman « Ma vie avec Marcel Proust » (éd. Gallimard) ?
C’est un livre très personnel qui raconte le rôle que la lecture de « À la recherche du temps perdu » a joué à différents âges de ma vie. Je l’ai lu trois fois en entier. À quinze ans, je l’ai perçu comme un grand roman de l’amour. Adolescente, j’étais tout le temps amoureuse et l’amour était toujours impossible, pas réciproque et souvent platonique. Toute cette souffrance, je l’ai retrouvée chez Proust, qui montre que l’amour est bien plus une affaire de névrose que de romantisme ! J’y trouvais la description de mes sentiments, de mes symptômes, ainsi qu’une analyse extraordinaire. Puis, à vingt ans, j’ai découvert que ce n’était pas seulement un roman de l’amour, mais également une vision précise de notre rapport aux autres dans la société. Proust parle beaucoup du snobisme, de l’ambition, de la radinerie, du désir de se faire admettre dans un cercle social qui vous rejette : il parle de nous aujourd’hui. J’ai réalisé aussi qu’il était très drôle et faisait preuve de beaucoup d’autodérision et cela m’a permis de rire de mes nombreux défauts ! Pendant les trente années suivantes, je n’ai pas eu le temps de le relire en entier : quand j’ai essayé, il m’est tombé des mains. Il faut être très disponible pour lire Proust, car il faut entrer dans le rythme de ses longues phrases.

Et à cinquante ans ?
À cinquante ans, je l’ai relu parce que j’écrivais un roman sur un ami très proche, diagnostiqué bi-polaire à trente-huit ans et qui s’est suicidé à trente-neuf, c’est Thomas dans « L’autre qu’on adorait ». Il était venu vivre aux états-Unis, comme moi, et avait fait sa thèse sur Proust à l’Université de Colombia. Il connaissait « À la recherche du temps perdu » par coeur. Cette relecture a nourri mon roman et permis d’imaginer la vie intérieure de mon ami. Je me suis aperçue que le narrateur parle souvent de sa paresse, de sa procrastination et de ses doutes profonds. Je crois que mon ami y avait trouvé une âme soeur, ainsi que l’accès à un autre monde de nature esthétique. Seuls l’art, la littérature ou la musique nous donnent accès à l’éternité, et c’est cette magnifique révélation proustienne que j’ai eue lors de cette lecture, et que mon ami avait eue aussi je pense. C’est l’expérience de la madeleine.

Pour l’édition illustrée de « Vie de David Hockney », qui vient de paraître à l’occasion de l’exposition qui se déroule actuellement à la Fondation Louis Vuitton, avez-vous fait le choix des oeuvres présentées avec le peintre ?
Je n’ai pas fait ce choix avec le peintre, mais dans mon roman je cite une cinquantaine de tableaux auxquels j’attribue un rôle très précis, ce sont donc évidemment ceux-là qui se trouvent dans la version illustrée. Mais David Hockney m’a fait un très beau cadeau en acceptant la version illustrée de cet ouvrage, car il contrôle de très près son image, et cela montre à quel point il a apprécié mon roman. J’ai écrit ce livre comme « L’autre qu’on adorait », en retraçant le portrait de l’artiste de l’intérieur. La nouvelle version contient aussi une postface dans laquelle je décris mes rencontres avec le peintre qui ont suivi la publication de mon roman. Je pense que David Hockney est un peintre tout à fait proustien dans son rapport au temps. Car il pose également la question de l’être humain à travers le temps…

Weena Truscelli

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