
Charles Berling – Soixante ans d’utopie réaliste.
Les soixante ans et le Festival d’été de Châteauvallon à Ollioules.
Je rencontre Charles au lendemain de l’inauguration des festivités de célébration des soixante ans de Châteauvallon, ce haut-lieu de la culture varoise construit par Gérard Paquet, Henri Komatis et leurs épouses. à Ollioules, ils ont souhaité créé cette utopie réaliste, la cité des arts, de la nature et de la science. Le directeur actuel de la scène nationale Châteauvallon-Liberté évoque ce que représente ce lieu pour lui, le programme des festivités et comment il voit l’avenir de ces institutions.
Quels souvenirs gardez-vous de Châteauvallon, depuis votre jeunesse ?
C’est un lieu que j’ai connu adolescent, à Toulon. À l’époque, il n’y avait rien. Châteauvallon, c’était un îlot d’espoir, un espace de respiration intellectuelle et artistique. J’y ai assisté à des concerts, des stages avec Trisha Brown, des conférences d’Edgar Morin, des spectacles de danse… Il y avait une effervescence rare. Cette utopie, cette volonté citoyenne de faire exister la culture en dehors de Paris, c’était l’esprit même de la décentralisation, comme l’ont souhaitée De Gaulle et Malraux.
Et aujourd’hui, cet esprit continue ?
Oui, c’est ce que j’essaie de prolonger. Je ne dirige pas ce lieu de manière verticale, je travaille avec une équipe engagée. On accueille des artistes en résidence, qui trouvent ici un rapport fertile à la nature, à la lumière, aux idées. Châteauvallon, c’est un carrefour entre arts, sciences et écologie. Une scène nationale n’est pas qu’un théâtre : c’est une maison ouverte, un lieu d’émancipation. Notre rôle, c’est aussi d’armer les citoyens face aux périls du monde — dérives capitalistes, montée des totalitarismes, désinformation. La culture est un outil de résistance.
Vous croyez au rôle social de l’art ?
Plus que jamais. La culture ne doit pas être réservée à une élite. Elle doit toucher tous les territoires, tous les publics, y compris les plus défavorisés. Je crois profondément qu’elle peut transformer une vie. On travaille avec les écoles, les quartiers, les artisans, les associations. On a vu au Liberté des enfants de six à douze ans raconter l’histoire de Châteauvallon sur scène : c’était bouleversant. Je m’appuie sur la jeunesse, parce que je crois en elle. Je ne veux pas d’un monde qui envoie ses enfants sous les bombes : je veux les mener vers la vie.
Et pour ces soixante ans, quel programme ?
On l’a construit sur toute l’année 2025. Artistiquement, on reste fidèles à nos fondamentaux : pour cet été, de la danse avec Preljocaj, Decouflé ou (La)Horde ; également le partenariat avec l’Opéra de Toulon… Cette année, nous avons reçu Joël Pommerat, le Munstrum Théâtre… Côté sciences, nous avons eu « Passion Bleue », nous avons accueilli Étienne Klein pour parler de physique quantique et du temps. D’autres rencontres viendront.
Le lien avec la nature est aussi essentiel. Nous allons végétaliser le site, créer des jardins partagés, désimperméabiliser les sols… Je suis heureux que Robert Beneventi, maire d’Ollioules ait mentionné l’idée de créer un parc départemental à Châteauvallon. Avec nos partenaires, on veut que ce lieu soit exemplaire dans sa relation au vivant.
Enfin, côté social, on renforce notre ancrage local : expositions avec les artisans d’Ollioules, projets participatifs avec les habitants… Châteauvallon appartient aux citoyens. Pour l’inauguration des soixante ans, nous avons fait appel à des artistes locaux, à des élèves du Conservatoire également. Gérard Paquet était ému de voir ces élèves raconter des anecdotes sur l’histoire de Châteauvallon. Nous avons un rôle important pour permettre aux créateurs de notre région de s’exprimer, de s’épanouir.
Vous êtes optimiste pour les soixante prochaines années ?
Je me refuse au déclinisme. Nous travaillons beaucoup en relation avec les enfants : ils nous apprennent que c’est possible. Mais il faut se battre. Il ne faut pas croire que ces institutions vont de soi. À nos tutelles, je dis : on fait de la programmation, mais on fait surtout du lien, du sens, de la citoyenneté. Soutenez-nous. Si vous voulez qu’on évolue, discutons. Mais ne laissons pas disparaître ces lieux qui proposent autre chose qu’un monde saturé de divertissement, d’écrans et de consommation.
Fabrice Lo Piccolo