Didier Ruiz – Parler de la mort.

“Mon amour“ les 3 et 4 mai 2023 à Châteauvallon scène nationale à Ollioules

Sur un texte de Nathalie Bitan et superbement mis en scène par Didier Ruiz, le spectacle “Mon amour“ aborde les thèmes délicats de l’agonie, de la mort, et de son lien intime avec la vie.

Vous explorez une nouvelle forme de langage avec votre nouveau spectacle ?
Oui, parce que pour la première fois, j’ai imaginé une forme hybride entre la fiction pure, jouée par des acteurs, et l’intervention de gens qui ne sont pas comédiens. Jusque-là, j’avais fait soit l’un, soit l’autre et rarement sur des textes de théâtre. Pour “Mon amour“ j’ai commandé un texte sur mesure à un auteur, ce qui est également une première pour moi.

Vieillesse, maladie, mort sont quelques-uns des thèmes abordés dans “Mon amour“, mais que font les intervenants non comédiens sur scène ?
L’idée est de faire “déchirer“ la fiction par une intervention de ceux que j’appelle “des experts de la mort“, des gens dont c’est le métier. Ils sont trois, tous captivants, et seront présents chacun leur tour, se partageant le calendrier des représentations. Il y a un philosophe qui parle de la mort et de la philosophie, il est absolument passionnant et ses propos sont tellement limpides qu’on a l’impression d’être intelligent et de comprendre tout ce qu’il dit ! Mais c’est lui qui est intelligent (l’intelligence est l’art de rendre l’autre intelligent). Il y a également un médecin, chef de service des soins palliatifs de l’hôpital Lariboisière à Paris et la psychologue de ce même service. Cette psychologue exerce à l’hôpital, mais aussi en libéral, où elle reçoit beaucoup de futures mamans ayant des angoisses liées à la maternité, des femmes enceintes qui associent la naissance de la vie à la naissance de la mort. Qui donne la vie donne la mort, c’est encore un autre point de vue sur le sujet. Ces trois personnes fascinantes froissent et interrompent la fiction trois fois, pendant quelques minutes et ensuite la fiction reprend, colorée par ce qui vient d’être dit par l’expert ou l’experte.

Pensez-vous que la terreur de la mort ressorte dans une société où la foi se raréfie ?
La foi était plutôt le sujet de mon dernier spectacle “Que faut-il dire aux hommes ?“. “Mon amour“ est un spectacle sur la vie et sur la spiritualité, plutôt que sur la foi. Pour moi, le terme de foi fait référence à une religion, alors que le terme de spiritualité fait appel à une intériorité et à une réflexion. Je pense que moins on réfléchit et moins on se retrouve face à soi-même, moins on est traversé par la problématique de la mort et plus on est démuni face à elle. Nous sommes dans une société qui nous individualise, nous fait craindre l’autre et nous en éloigne, on est alors seul et encore plus seul devant la mort. Alors qu’à mon avis, le meilleur moyen de l’apprivoiser, de la faire entrer dans votre sphère intime, c’est de partager ces questions avec les autres.

Ce sujet intéresse-t-il les personnes encore jeunes ?
J’ai vécu un moment très fort il y a peu, la scène nationale de Montbéliard nous recevait et avait demandé à la troupe de faire une sortie de résidence, où un public était convié pour savoir ce que l’on fait avec l’argent public. Nous avons montré une partie du spectacle et j’ai eu le sentiment très fort, au travers des réactions de ce public-là, d’appartenir à une communauté d’hommes et de femmes, plutôt jeunes (la quarantaine), qui était concernée par ça. Ce moment m’a fait un bien fou. Être en vie, ne pas être encore mort et pouvoir en profiter, c’est ça qui est extraordinaire, à chaque instant…

Weena Truscelli

Chateauvallon-Liberté