Dominique Petit – Des images qui viennent au corps.
14.01 – Outwitting the devil de Akram Khan – Théâtre de l’Esplanade – Draguignan
De tout temps, les hommes ont voulu être plus malins que le diable. Dans son dernier spectacle présenté à Avignon, l’anglais Akram Khan, chorégraphe majeur de notre époque, adapte l’un des premiers récits de l’humanité, l’épopée de Gilgamesh, roi sumérien, qui ici détruit une magnifique forêt de cèdres. Point de départ pour évoquer l’urgence écologique à laquelle nous faisons face. Son danseur principal, Dominique Petit, à soixante-neuf ans, trouve ici l’un des rôles marquants de sa carrière. Il revient pour nous sur cette expérience.
Vous avez une longue et prestigieuse carrière, en tant que danseur et chorégraphe. Akram Khan est l’un des chorégraphes les plus reconnus actuellement. A-t-il été facile d’accorder vos visions ?
Ça a été surprenant. Il fallait s’accorder de toute façon. Akram a choisi six danseurs d’univers extrêmement différents et pas formés à son style. C’était un chemin mutuel d’aller les uns vers les autres. Les six danseurs ont une manière d’aborder le mouvement et les personnages qui leur est propre et très identifiée. Je me sens très proche de sa méthode de travail, en recherche permanente, sans dramaturgie bien élaborée au départ. Le travail est fait avec les danseurs et c’est toujours comme cela que j’ai fonctionné, en laissant la place en studio aux images qui viennent du corps, et non de l’esprit, ce qui ne peut être fait qu’en présence des danseurs.
Comment rend-on un sujet de société à travers la danse et en quoi cet engagement est-il important pour un artiste ?
Ça appartient à chaque artiste de déterminer la forme de son engagement. Pour moi ce n’est pas une position éthique ou morale de devoir s’engager. Akram s’est senti appelé par un fait de société majeur qui concerne l’humanité tout entière. Je trouve intéressant qu’il l’ait situé en rapport à un épopée aussi ancienne. Cela donne une dimension éthique et contemporaine car ce que nous vivons aujourd’hui est la conséquence des actions de l’homme depuis toujours. Cela amène une distance, une dimension plus essentielle, sur l’attitude fondamentale de l’homme par rapport à son environnement.
La pièce est particulièrement physique, et le travail d’Akram Khan évolue en permanence pendant les séances de création. Comment se passaient-elles ?
De façon diverse, suivant les étapes à laquelle nous en étions de l’apprentissage. Au départ nous travaillions beaucoup autour de phrases écrites par Akram pour se familiariser à la gestuelle, au côté très électrique de sa danse. Nous avons effectué un très grand travail autour des bras, des mains, ce à quoi nous n’étions pas tous habitués. Nous avons exploré beaucoup de pistes pour étayer le récit, et n’avons gardé que l’essentiel. Nous avons fait de nombreux allers et retours, en créant des situations, de nouvelles pistes, puis revenant à la dramaturgie initiale. Finalement tout s’est resserré autour de celle-ci. Elle est construite comme un drame antique autour de danseurs ne quittent presque pas le plateau. Mais ce n’est pas une narration linéaire, il fallait préserver l’aspect poétique. Nous avons clarifié les intentions dans ce que vit chaque personnage, et son rapport aux autres. Nous sommes toujours reliés à un, deux ou trois autres personnages, c’est une interaction constante. Pour le spectateur, il y a quelque chose de surprenant, il ne peut anticiper. Rien n’est formel dans l’avancée de la pièce, au sens d’une chorégraphie classique. Il y a des sauts dans le temps, des revirements de situation…
Le spectacle mêle différents types de danse : indienne, contemporaine, hip hop; et des danseurs de différents horizons, est-ce une difficulté particulière ?
Je pense que c’était un pari très original de la part d’Akram de faire danser six danseurs aussi différents et qui soient en interaction continuelle. C’est un 15 & tour de force chorégraphique. Ça n’a pas été sans difficulté, mais ce sont des danseurs fabuleux, qui à force de travail ont trouvé des possibilités d’ensemble. Ce travail-là était extrêmement minutieux, c’est de l’horlogerie de précision. Il fallait aller s’approprier cette gestuelle. C’est un travail intensif de quatre mois. Mais Akram est un immense professionnel, avec une intensité de travail remarquable, qui fait du bien car en tant que danseur on attend cette exigence, que l’on nous pousse. Même si Akram a conservé une partie des mouvements naturels des danseurs, il les a transformés, les a entièrement resculptés.