Emma Dante – Perfidie à la Cour du Roi.

>> »Re Chicchinella », les 17 et 18 avril au Liberté à Toulon
Après « La Scortecata » et « Puppo di Zucchero », Emma Dante, la grande metteuse en scène sicilienne revient sur la scène de Châteauvallon-Liberté nous présenter « Re Chichinella » qui, comme ses deux précédents spectacles, est aussi une adaptation du « Conte des contes » de Giambattista Basile.

Qu’est-ce qui vous intéresse dans ces contes de Basile ?
C’est un inventeur de contes réalistes mais aussi très féroces, un véritable créateur de visions, grâce surtout à son langage imprégné de magie et en même temps concret et terrestre. J’ai toujours perçu, dans ses contes, quelque chose de réel et de contemporain, et qui nous appartient. Malgré l’architecture extraordinaire qu’il construit à travers le langage, il conserve toujours quelque chose de fortement réaliste. Ce conte traite de l’avidité, du manque d’affection, du manque d’empathie qui, parfois, se retrouve au sein des familles. On décrit ici de manière impitoyable une lignée royale, dont l’histoire se déroule au sein d’une Cour aristocratique. Et pourtant cette famille a aussi ses malheurs. Parfois, la distance qui se crée au sein de familles en raison des intérêts qui l’emportent sur les affections est glaçante. On parle ici de la solitude engendrée par le pouvoir, de son obtusité qui rend stupide. Le pouvoir décrit dans ce conte a quelque chose de pathologique, qui ne produit pas de beauté, mais de la haine, de la distance et de la mort.

Qu’est-ce que nous montre cette pièce sur ce roi Chichinella et sa cour ?
C’est l’histoire d’un Roi malade, seul et sans espoir, entouré d’une famille sans affection qui a un seul but : recevoir un œuf d’or par jour. En effet, les membres de la famille et les sujets ne s’intéressent qu’aux œufs d’or que produit accidentellement la poule qui a élu domicile dans le Roi. C’est le nœud dramaturgique du spectacle, qui se transforme peu à peu en un cauchemar. L’animal vit et se nourrit, dévorant lentement les entrailles du roi, jusqu’à ce qu’on découvre que le roi et la poule ne font qu’un. C’est un récit certainement joyeux mais aussi terrible, comme tous les contes.

Vos mises en scène mêlent souvent différentes disciplines artistiques et beaucoup d’humour pour traiter de sujets graves…
Dans le spectacle, on trouve une exagération, avec une gestuelle dansante et rythmée, très présente dans mon théâtre. C’est un langage qui évoque le masque de la Commedia dell’Arte, car certaines paroles ne peuvent être prononcées qu’en portant un masque, réel ou imaginaire. On rit, mais toujours avec un arrière-goût amer qui, en effet, appartient à notre tradition. La Cour du Roi est un personnage unique formé de nombreuses facettes d’une même communauté. Les dames qui peuplent cette Cour ressemblent à des poules et nous avons étudié comment ces oiseaux se déplacent. Les chorégraphies sont nées du mouvement que fait la poule en marchant, avec un sens du rythme fou, qui semble presque danser ; elle fixe les gens et les choses, avec son regard vide si éloquent qui peut contenir tout ce qu’on veut lui attribuer. C’est une cour très drôle, où les dames dansent et jacassent comme des oiseaux. La rencontre entre la danse, la musique et le chant pour moi a à voir avec quelque chose de très instinctif et archaïque. Quand toutes ces formes expressives se rencontrent, je ressens un fort contact avec la nature, comme si les actrices et les acteurs perdaient leur sagesse humaine pour retrouver une sagesse animale ancestrale.

Ce spectacle est coproduit par notre scène nationale Châteauvallon-Liberté, pouvez-vous nous parler de vos relations ?
Présenter nos spectacles à Châteauvallon-Liberté nous a permis d’exprimer tout notre talent avec une grande liberté. Dans les créations que Châteauvallon-Liberté a soutenues toutes ces années, il y a eu, avant tout, la possibilité de présenter nos spectacles sur une grande scène européenne devant un public attentif et passionné qui, au fil des ans, a appris un peu notre langue et nous avons aussi un peu appris la leur. Nous avons un échange puissant. Dans le spectacle, il y a un mélange de napolitain et de français, précisément au nom de cette alliance qui a été fondamentale pour notre recherche. Construire un chemin ensemble a été la chose la plus importante, nous faire nous rencontrer et dialoguer malgré la différence de langue et de culture. C’est ce que le théâtre doit faire, construire des ponts infinis d’une ville à l’autre, en traversant le ciel. Et à Châteauvallon-Liberté, cela a été possible pour nous. Nous sommes très reconnaissants envers ce grand partenaire qui nous donne à chaque fois l’élan nécessaire pour prendre notre envol.

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