Emma Dante – Un théâtre bien vivant
THEATRE
Pupo Di Zucchero – Le Liberté Scène Nationale de Toulon
Du 10 au 12 Mars
La metteuse en scène sicilienne Emma Dante est une artiste majeure de la scène théâtrale internationale. Coproduit par Châteauvallon-Liberté Scène Nationale, son dernier spectacle fut une nouvelle fois très remarqué lors du Festival d’Avignon. Elle y célèbre les morts, représentant sur scène la fête du 2 novembre, très importante en Sicile, dans un spectacle mêlant théâtre, chant, danse et arts plastiques… Du théâtre plus que jamais bien vivant !
En quoi ce jour des morts est particulièrement important pour vous, et pourquoi vouloir le mettre en scène ?
Le 2 novembre est une fête ancienne que l’on cherche à conserver et à transmettre dans le Sud de l’Italie. C’est une façon de se souvenir et d’honorer la mémoire de nos défunts. Selon la tradition méridionale, on a coutume d’organiser des banquets riches en gâteaux, en biscuits, que l’on offre aux défunts en échange de cadeaux qu’ils apporteraient aux enfants. Durant le rituel, cette nuit-là, les gâteaux anthropomorphes représentent les âmes des défunts. C’est comme si on se nourrissait de nos propres êtres chers. La « Pupo di Zucchero », douceur typique du 2 novembre, est une statuette à forme humaine, peinte avec des couleurs vives et faîte de sucre durci, qui représente des personnages traditionnels comme le paladin, la ballerine, typiques du théâtre de marionnettes sicilien. Je ne suis pas religieuse, je ne fréquente pas les églises. Dans mes spectacles, les symboles religieux, comme les crucifixs, les chapelets ou les images sacrées, existent parce qu’ils sont présents dans le quotidien. Le thème de la mort est très présent dans mes œuvres. Je veux que le théâtre m’aide à surpasser la peur de la mort, c’est une façon de l’accepter et de l’analyser, mais aussi de garder près de moi ceux qui ne sont plus là. La marionnette est, pour ce vieux protagoniste, telle un gymnase où la tête et le cœur s’entraîneraient pour ne pas oublier.
Dans ce spectacle, vous incluez du chant, de la danse, pourquoi ces choix de mise en scène ?
J’aime que les acteurs et les actrices dialoguent avec ce avec quoi ils entrent en relation : un tabouret, une lumière, une sonnette, une musique… Tous ces éléments, inanimés pour nous, deviennent pour eux des compagnons d’aventures. Le tabouret sur lequel s’assoit le vieux est acteur, il parle avec le personnage. Tout comme cette pâte que le vieux et tous les autres membres de la famille, manipulent… Le craquement des os des sculptures des défunts, le tremblement de la flamme des bougies, le chant de Viola, la danse de Primula et la prière de Rosa sont des moyens expressifs de raconter l’histoire. Le vieux resté seul dans une maison vide, prépare la marionnette en sucre et l’offre à ses parents défunts. Ces parents, que l’on voit occuper la chambre des souvenirs, existent dans la mémoire du vieux qui les évoquent pour ne pas mourir de solitude. Ils dansent pour lui la routine de la vie, devenant des rouages de la maison.
Pouvez-vous nous parler de l’importance des sculptures de Cesare Inzerillo ?
Ces dix sculptures montrent le corps obscène de la mort. Cet artiste raconte la mort d’une manière originale, s’inspirant des catacombes des Capucins. Sa façon de sculpter les corps me touche beaucoup, je me sens proche de son travail. Il montre la détérioration des corps, sans tabou, révélant à travers l’être humain pourri la poésie de la vie. Dans ses sculptures, la mort n’a rien de scandaleux, il nous montre une part indicible de la vie. Les parents momifiés de Cesare m’ont énormément inspirée dans la création de ce spectacle. La chambre, décorée de souvenirs, accueillera ces morts, ravis de tous ces petits gestes.
Cette pièce est coproduite par Châteauvallon-Liberté Scène Nationale, où vous avez présenté de nombreux spectacles, comment se passe votre collaboration ?
C’est une collaboration extraordinaire ! Pendant ces années, nous avons eu la possibilité de construire une relation très forte avec leur public. Ce furent des projets importants qui nous ont donné une maison, une famille en France. Ça a vraiment été une rencontre fondamentale pour notre développement humain et intellectuel. Grâce à eux, on sent que le public connaît désormais notre parcours. Quand les spectateurs et spectatrices assistent à un nouveau spectacle, ils sont en capacité de déchiffrer un langage très différent du leur mais qui leur est désormais très familier.
Fabrice Lo Piccolo