Flora Marchisio Defendini – En quête de soi

INSTALLATION

Flora Marchisio Defendini convoque les souvenirs des spectateurs pour en prendre soin. À travers l’espace, d’étonnants contrastes de matières, ou la voix, elle crée du commun là où la société ne propose qu’artifice.

Dans ton travail, on ressent cette inquiétante étrangeté dont parle Freud. Est-ce une sensation qui te parle ?

C’est possible, j’aime détourner les matériaux pour rappeler des choses intimes aux spectateurs. Je joue par exemple avec l’élément de l’eau car cela m’évoque ce que l’on pourrait ressentir dans le ventre de sa mère. Le rapport intime dans mon travail se fait surtout par rapport aux espaces. Nous sommes dans une société où l’on crée de fausses intimités et où tout peut paraître artificiel. Moi je cherche à créer du vrai. J’essaie d’être le plus honnête possible dans mon travail. Parfois, je découvre par accident des matières qui m’intéressent, je fais des expériences curieuses comme lorsque j’ai rassemblé des œufs dans une petite coquille. L’aspect mou, flasque et compacté crée un contraste étonnant avec le côté sériel qui en fait une sorte de motif.

Pourquoi proposes-tu principalement des œuvres in situ ?

À côté de l’École d’art, je passe aussi un master de littérature, culture et patrimoine. Cela me permet d’étudier nos souvenirs intimes de lieux depuis différents points de vue. Je me suis notamment questionnée sur l’histoire du quartier de Tamaris à La Seyne-Sur-Mer, les changements d’usage de ses bâtiments et mon rôle dans cet espace. Quand Toulon a été bombardé, il a fallu vite reconstruire et on a dû repenser l’habitat. Je me suis toujours sentie très impactée par l’urbanisme. À Tamaris, il y a ce silence qui peut être intimidant et j’essaie de le révéler.

Que t’évoque l’espace de la Galerie du Canon ?

J’aime passer du temps à observer les aspérités des salles. J’y ai surveillé des œuvres, mais j’en ai surtout été spectatrice. C’est un lieu aseptisé sur le principe du white cube. Je pourrais partir d’une petite fissure, d’endroits où on a pu oublier la peinture. Travailler sur les petits défauts, c’est une façon de les soigner. Mais j’attends de voir la pièce pour agencer mon travail à ma manière. Dans cette exposition, je vais exploiter cette notion d’intimité, à travers une performance, pour lui donner corps. Je me manifeste beaucoup par la parole et la voix est importante. J’aime surtout parler de ce que je connais et je le fais en transmettant des histoires d’émancipation de familles. Le fait que toute ma famille ait travaillé dans le même quartier que l’école d’art m’intéresse : les comportements qu’on adopte, le rythme quotidien des déplacements, la suppression de l’identité par l’uniforme, l’entreprise et ses codes, la gestuelle à adopter… Les médias et le monde nous incitent à jouer des personnages, mais l’intime nous ramène toujours à notre condition humaine.

Est-ce l’aspect organique, que tu as en commun avec Laëtitia Romeo, qui t’intéresse dans sa pratique ?

J’avais été très surprise par cet aspect cru de son dessin. On retrouve cet aspect visqueux, gluant et avec des courbes. Mais elle utilise aussi des mots crus dans ses sérigraphies. C’est quelqu’un de vrai. Et c’est aussi quelque chose au centre de mon travail. J’aime sa spontanéité. Elle est passionnée et cela la pousse à se dépasser. Le public peut s’identifier à la fois à nos failles et à cette transparence que l’on veut avoir toutes les deux.

Que t’a apporté l’École d’art ?

Entrer dans cette école m’a permis de découvrir de nouveaux moyens d’expressions. Le large panel de disciplines m’a amené à questionner sans cesse mon rapport à l’œuvre et au spectateur ainsi que nos choix de mise en espace. J’ai pu prendre confiance en moi, développer un esprit critique et échanger avec les autres étudiants. Avec la pandémie et les deux confinements, c’était important de conserver des liens avec tout le monde.

Maureen Gontier

BIOGRAPHIE

Née en 1998 à Toulon, Flora Marchisio grandit dans une famille de cheminots travaillant à la gare. Cette atmosphère ferroviaire lui permet de prendre conscience que ses parents rentrent tard le soir et commencent tôt le matin. Souvent, en passant devant la gare, elle voit sa mère en uniforme vendre des billets, faire des accueils embarquement, pour elle c’est « Maman » pour les voyageurs c’est « Kaliste » (elle ne donne pas son vrai nom). C’est aussi sa mère qui l’emmène voir des expositions à la Villa Tamaris, quartier de la Seyne-Sur-Mer où elle a grandi. Cet échange entre services dans une grande entreprise et amour de la culture a permis à Flora de créer ses propres projets. C’est à l’ESADTPM qu’elle développe un aspect très sensible de sa personnalité, notamment par les essais de performances textuelles qui se révèlent être d’une forte intensité. Pour elle, c’est une façon de montrer une partie de soi, dans une hypersensibilité absolue et dans un contexte archaïque où il faut absolument tout cacher et ne rien dévoiler.