Frank Micheletti – Je crois au pouvoir des corps.

07.02 Black Belt & African Soul Power Le Liberté Scène Nationale de Toulon
11.02 Something is wrong Châteauvallon Scène Nationale, Ollioules

Pour les lecteurs fidèles de Cité des Arts, nous ne présentons plus Frank, directeur, danseur et chorégraphe de la compagnie Kubilaï Khan. Pour les autres, nous vous renvoyons à notre hors-série spécial Constellations, le festival qu’il dirige, disponible sur notre site internet. Ce mois-ci, il revient avec deux spectacles plus engagés que jamais, au Liberté et à Châteauvallon, ainsi qu’avec un dancefloor endiablé, ouvert à tous, dont lui seul a le secret.

Très engagé, comme toujours, tu commences le mois au Liberté, avec un spectacle sur la lutte africaine contre l’occident…

Black Belt est un solo créé pour le danseur Idio Chichava, notre danseuse étoile, en tant que danseur, mon plus proche collaborateur. C’est inspiré par le philosophe, économiste et musicien sénégalais Felwine Sarr qui a écrit « Afrotopia ». Il dit que l’Afrique a sa propre histoire et son propre tempo, et n’a pas besoin de recopier le modèle occidental, qui, de plus, est contestable. Notre société jette de la poudre aux yeux avec son modèle technologique et consumériste. Nous prétendons jouer à jeu égal avec les sociétés africaines, mais en réalité, nous souhaitons mener le jeu. Heureusement certains penseurs très importants, comme Felwine ou Achille Membé, le camourenais, essaient de faire sauter les verrous de cette domination. « Black Belt » veut dire ceinture noire, en rapport aux arts martiaux bien sûr et à cette idée de combat, mais aussi de maîtrise. Un autre texte important pour cette pièce est celui de Fernando Pessoa, « Ode maritime », écrit en portugais, la langue officielle du Mozambique d’où est originaire Idio. Nous avons tous un héritage, dont on ne va pas se débarrasser, et l’histoire de l’Europe et de l’Afrique sont conjuguées. « Ode Maritime » est un texte avec une certaine ruse, et Idio a des pouvoirs d’interprètes très nuancés : il peut avoir beaucoup de puissance, mais aussi beaucoup d’élégance et de subtilité. Black Belt est comme une odyssée, qui démarre tumultueuse puis trouve sa sérénité. A la fin, quelque chose s’est transformé, et c’est grâce à la force du danseur, de son engagement. Idio est également directeur d’un festival de musiques et danses traditionnelles à Maputo. L’Afrique, avec sa jeunesse, est un continent très ressourçant. La musique électronique notamment se passe en Afrique aujourd’hui. Les artistes ont beaucoup de choses à dire, et c’est le cas d’Idio, que je considère comme coauteur de ce spectacle. Je crée la musique en direct, et la scénographie lumineuse d’Ivan Mathis est très importante dans le voyage.

Tu enchaînes sur le thème avec une Nuit Liberté…

Nous l’avons intitulée « African Soul Power », le pouvoir de l’âme africaine. C’est une ballade dans l’univers des musiques africaines. Les morceaux que je vais jouer ont été principalement conçus par des producteurs africains. Je vais mixer sur des vinyles ramenés de là-bas en grande partie. Nous proposons des ateliers où Idio montrera les steps et surtout l’esprit de l’Afro house. Il accompagnera aussi le public pendant la soirée, un dancefloor gratuit dans le hall à partir de 22h.

A Châteauvallon, tu aborderas le thème du dérèglement climatique…

C’est la deuxième partie de « Bien sûr les choses tournent mal » que nous avions donnée au Liberté. Les quatre danseurs et quatre musiciens reviennent de leur voyage dans le futur et se demandent ce qui se passe avec ce dérèglement. Charles Fourrier en 1821, nous alertait déjà sur la détérioration de la planète. Nous le voyons avec les méga-feux en Australie, nos canicules : ce qui risque d’arriver a déjà commencé. Nous sommes quatre musiciens, dont trois locaux : Jean-Loup Faurat, guitariste d’Hifiklub et de Chien Bleu mord le vent, Benoit Bottex, du Metaxu et du Vrrraiment, aux synthés modulaires, un musicien génial ; et moi au clavier, pour les locaux. Cheikh Anorak, batteur fou complète le casting. Je fais danser mes quatre danseurs fétiches : Gabriela Ceceña, que vous pouvez retrouver sur les clips de Thom Yorke, Esse, la flamande, Maria l’espagnole, et Idio. Je suis très touché en ce moment par l’implication de la jeunesse dans le dérèglement climatique. J’ai donc décidé de faire intervenir Morgane, une adolescente qui danse avec le Conservatoire pour nos Out of the box. Elle finit la pièce seule, c’est notre passage de relais, car le futur est à elle. Ce n’est pas une pièce apocalyptique, mais qui donne envie de se battre. Je crois au pouvoir de la danse car c’est un medium au-delà des mots. J’ai beaucoup appris de la poésie et surtout de Bernard Noël, le plus grand poète français, qui dans « La maladie du sens », parle de la confiscation des mots : on ne fait rien de ce que l’on dit. Pour moi, c’est le pouvoir des corps ensemble qui fera la différence. Le corps est un instrument de lutte important, quand il descend dans la rue, ou par la danse.