Jean-Pierre Darroussin – Défendre l’humanisme.

« Inconnu à cette adresse » le 30 novembre au théâtre Jules Verne à Bandol.

 

Jean-Pierre Darroussin et Stéphane Guillon interprètent « Inconnu à cette adresse“, récit épistolaire de Kressman Taylor paru en 1938. Dans les années 30, deux amis, Max, juif américain et Martin, allemand, possèdent une galerie d’art florissante à San Francisco. Martin, marié et père, mais amant de la soeur de Max, retourne à Munich, où il est embrigadé par le mouvement nazi. Leur échange épistolaire se transforme alors peu à peu en armes.

 

Vous avez déjà joué sur scène Martin, l’un des deux personnages d’“Inconnu à cette adresse“, mais cette fois-ci vous êtes Max, pourquoi ?
Une des raisons était que j’avais envie de ressentir la complexité d’un autre personnage mais également que Stéphane Guillon, qui est à l’initiative de la reprise de ce spectacle, avait aussi joué Martin dans la pièce et tenait à continuer à interpréter ce rôle. Je me suis donc dit que c’était l’occasion de jouer Max et cela a aiguisé ma curiosité pour cet autre protagoniste.

Est-ce une pièce qui parle du pouvoir en général, du pouvoir sur les autres, du pouvoir politique ?
C’est une pièce qui parle surtout de la façon dont on peut se laisser entraîner dans la volonté de créer un “Homme nouveau“ et de faire croire aux gens que le monde va changer et devenir quelque chose de formidable. Alors qu’évidemment, quand on veut faire un Homme nouveau, on est obligé de ratiboiser la moitié de la population qui n’est pas d’accord, ce qui est quand même un problème ! C’est un peu compliqué de faire des Hommes nouveaux, ça marche rarement, on ne peut guère que les améliorer, mais vraiment petit à petit.

Le texte veut-il nous faire réfléchir sur le côté obscur présent en chacun de nous ?
Si les gens pouvaient se rendre compte qu’ils étaient dans l’obscurité, peut-être, mais ils ont plutôt l’impression d’aller dans la lumière. C’est un peu ce qui s’est passé et se passe toujours dans les élans fascistes, autocratiques, qui semblent être les solutions les plus appropriées pour se sortir de la complexité du monde. J’imagine que, évidemment, quand les gens sont dans ce genre de mouvements, ils ont l’impression de se sortir de l’obscurité, c’est quand même rare de vouloir se tirer une balle dans le pied… pourtant, curieusement, on le fait ! Je pense que c’est simplement par aveuglement, c’est lorsque que nous sommes aveugles que nous sommes dans l’obscurité. Pouvons-nous nous aveugler consciemment ? Oui, peut-être, ça s’appelle le déni de réalité et c’est ce que nous faisons à l’heure actuelle, où beaucoup de gens préfèrent être dans ce déni, plutôt que d’imaginer que nous allons droit dans le mur.

On vous demande souvent à propos de la pièce si c’est un sujet dans l’air du temps, mais n’est-ce pas simplement intemporel, propre à l’humain, l’endoctrinement, la trahison ?
Il y a quand même une résonance un peu plus forte que celle qui aurait pu être par le passé, quand les valeurs humanistes étaient encore de mise alors qu’aujourd’hui, il ne faut surtout pas être un intellectuel, ni un humaniste. Je trouve que le discours ambiant a plutôt tendance à nous emmener vers une forme de vulgarité. Comme si essayer de s’améliorer dans la pensée s’éloignait. Nous sommes dans un monde qu’aurait aimé l’ancien patron de TF1, qui disait que la télévision était surtout destinée à fabriquer des cerveaux disponibles à la publicité. Maintenant que nous avons tous une télévision dans le creux de la main en permanence, nous sommes continuellement contaminés par la publicité, le cerveau est disponible pour ça et non pas pour l’humanisme. Nous sommes dans un moment où le cerveau est de plus en plus enclin à se dire que ça ne sert à rien de s’améliorer soi-même, un moment donc, où les gens ont envie de se tirer une balle dans le pied !

Weena Truscelli.

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