
Lucas Debargue – “…jouer sans passion est inexcusable.“ Beethoven.
Le 8 juin à la Maison du Cygne
Pianiste remarquable, exalté et un brin rebelle, Lucas Debargue embarque son public dans un moment d’émotions partagées, loin des diktats, des modes et des chemins encombrés.
Votre parcours vers la musique classique a été quelque peu atypique, pouvez-vous le résumer ?
J’ai toujours eu une écoute particulière de la musique. Mes parents appréciaient la pop, le rock, mais n’étaient pas artistes, ni des passionnés de musique, et je n’avais aucun contact avec le monde de la musique classique. Mais j’étais un petit garçon très curieux et j’ai fini par dénicher chez eux certains disques, puis écouter Mozart un jour où j’étais seul, et en être complètement bouleversé. La passion pour la musique m’a alors spontanément envahi et a tout emporté sur son passage. Au début mes parents étaient enthousiastes, mais ils ont finalement été dépassés par l’ampleur que cela prenait dans ma vie. Par ailleurs, c’est à cette époque – j’avais dix ou onze ans – qu’ils ont divorcés et que ma mère est tombée très malade. Ma vie de famille a explosé et mon petit frère Robin (musicien lui aussi dans un autre style) et moi, nous sommes retrouvés dans le quotidien mouvementé d’une garde alternée, période difficile durant laquelle la musique s’est imposée pour moi comme une forme de refuge. C’est dans la musique que ma vie intérieure s’est développée et elle est devenue ma boussole. J’avais de grandes facilités pour lire et déchiffrer les partitions, et ma première professeure de piano ne m’a pas du tout freiné, elle n’a pas tenté de canaliser ou conditionner ma fougue, elle m’a laissé très libre et je l’en remercie.
On dit que vous réinventez les oeuvres que vous interprétez, qu’entendez-vous dans cette phrase, un compliment ?
C’est un compliment parce que c’est ce que je cherche à faire. Ma vision est qu’une expérience de concert n’existe que si on réinvente la musique à chaque fois. C’est encore grâce à l’attitude de la professeure dont je parlais que j’ai aujourd’hui ce regard particulier sur l’interprétation, les conventions. Une partie de ma formation s’est faite en autodidacte car, même si j’étais suivi, je bricolais ma technique et il était très difficile de m’imposer quelque chose. En classe j’étais parfaitement discipliné, mais avec la musique j’étais exalté, presque comme un drogué. Durant mes premières expériences de concerts classiques, j’étais exaspéré par la façon d’écouter du public, je ne comprenais pas les codes. J’entendais comparer le jeu d’un musicien avec un autre et j’étais incapable d’approuver le fait que cette musique passe sous le prisme d’un jugement critique et ne soit pas simplement reçue de manière directe. Je pense que la critique musicale est impossible, toxique, parce qu’elle a besoin de références arbitraires pour se prétendre légitime et cela amène le public à entendre et ressentir d’une manière imposée.
Vous interprétez des compositeurs moins connus quelles sont les réactions du public ?
Il ne s’agit évidemment pas de jouer des œuvres qui sont inconnues, mais des œuvres qui sont fortes. Avant tout, je ne joue que des œuvres que j’incarne pleinement, et le public est toujours enthousiaste. J’ai joué du Milosz Magin à Munich, après du Mozart, et la salle m’a fait une standing ! J’étais surpris, mais il faut arrêter de croire qu’il faut bien connaître la musique classique pour l’apprécier, ce n’est pas vrai, il faut la jouer pleinement en mettant son âme sur la table.
Weena Truscelli