Maëlle Poésy – Quand passé et présent ne font plus qu’un.
17.07 et 18.01 – « Sous d’autres cieux… » – Châteauvallon scène nationale – Ollioules
Maëlle Poésy et Kevin Keiss nous ont dévoilé leur dernière adaptation lors du Festival d’Avignon 2019. « L’Enéïde » est un classique, écrit par Virgile, qui raconte la fuite d’Énée, prince troyen, une fois sa ville détruite par les grecs. Partant du point de vue des vaincus, ce récit retrace les périples endurés par Enée et sa famille, qui cherchent à rejoindre l’Italie, pour y reconstruire leur vie.
Pourquoi avoir choisi ce texte qui traite de l’exil ?
L’adaptation de l’Enéïde est un projet que j’ai en tête depuis longtemps et dans la continuité du thème du voyage iniatique sur lequel j’ai déjà travaillé dans d’autres spectacles. J’ai rencontré le personnel de Primo Levi à Paris, qui s’occupe, entre autres, des réfugiés et des personnes victimes de torture dans leur pays. Ce qui revenait souvent lors des entretiens que j’ai pu avoir avec eux, c’est la question de la mémoire dans l’exil. Cette sensation de vivre entre deux espaces-temps différents, une confusion entre le présent et les souvenirs d’un passé dans lequel on reste coincé. Cette perte de repère fait intégralement partie de la notion d’exil. C’était une première porte d’entrée pour adapter l’œuvre. « L’Enéïde » est un des plus grand récits de métissage, qui exploite la complexité et la pluralité de la question des origines, et qui va à l’inverse de l’identité nationale, dont on entend beaucoup parler en ce moment.
On peut voir sur scène trois dieux s’exprimer chacun dans une langue différente. Pourquoi ce choix ?
Les grecs et les latins sont très croyants, c’est une façon de traiter leur polythéisme. Les dieux sont omniscients et n’appartiennent à aucun espace, ni à aucun temps défini. Ça m’amusait de penser que les dieux puissent converser entre eux à l’image d’un « Babel » interne. Il est normal que ces entités puissent se comprendre sans avoir à parler la même langue, c’est d’ailleurs comme ça qu’on peut les différencier des êtres humains.
Nous pouvons voir comédiens et danseurs se répondre sur le plateau, pourquoi avoir choisi d’intégrer de la danse dans cette pièce ?
On parle ici d’un voyage, mais les mots et les poèmes ne suffisaient pas. J’avais envie qu’il y ait un investissement physique, pour pouvoir donner corps à ce voyage, qu’il ne soit pas seulement narratif. Ça permet aux spectateurs de ressentir l’épuisement de cet équipage qui fuit son pays, les sensations produites par leurs arrivées et leurs départs, qui sont des éléments récurrents du spectacle.
Quels sont les éléments clés de votre scénographie pour rendre plus réel l’exil de ce troyen, Énée, et de sa famille une fois la ville détruite ?
Dans l’espace, il fallait créer un lieu qui parle sans cesse de destruction et de reconstruction, c’est l’un des éléments principaux de la pièce. On voit sa ville et tout ce qu’il y a vécu, se désagréger sous ses yeux. Cet homme, Énée, passe son temps à essayer de rebâtir. C’était aussi dans l’idée de créer un lieu de construction, de voyage constant, que nous avions intégré des danseurs à la pièce. Dans cette boite noire qu’est un théâtre, ça nous a permis de faire ressentir la traversée de chaque pays, chaque mer, chaque kilomètre.
Vous avez co-adapté cette pièce avec Kevin Keiss, comment s’est passé le travail de réécriture ?
Nous avons tous les deux été formés à l’École Supérieure d’Art Dramatique de Strasbourg. Kevin en dramaturgie, moi en tant que comédienne. Et ça fait longtemps que l’on travaille en amont des projets d’adaptation. On réfléchit à de nouveaux axes à partir d’une pièce ou d’un livre qui nous intéresse. Ici, on réinvente une histoire du point de vue de la mémoire. Kevin est latiniste, il a de nouveau traduit certaines parties du livre depuis le latin afin de rendre notre texte plus poétique, compréhensible et rythmique. Ça donne plus de force au texte.