Matthew Caws de Nada Surf, la musique calme l’enfant qui est en nous.
A l’occasion des quinze ans de leur album « Let Go » le groupe de (pop-)rock américain Nada Surf sort : « Standing At The Gates : The Songs of Nada Surf’s Let Go », où d’autres artistes font des reprises de chaque chanson, au bénéfice de deux associations humanitaires. Pour ceux qui ne connaitraient que « Popular » ou « Always Love », c’est l’occasion de les découvrir. Leurs huit albums sont tous composés de classiques instantanés portés par la voix fragile et angélique de Matthew, reflet d’une vie intérieure riche. Ils joueront leur chef d’oeuvre en intégralité à l’Espace Malraux.
Pourquoi cet album-là, et que pensez-vous du résultat final ?
C’était l’idée de notre manager. Au départ, j’étais contre. Qui organise son propre disque de reprises ? Ça ne me paraissait pas très élégant. Mais il m’a expliqué que les bénéfices iraient à deux associations humanitaires : une pour les droits civils des citoyens américains, et en ce moment nos droits civils sont en danger, et une qui aide les enfants qui ont le cancer. Par contre, je ne voulais pas demander aux artistes de participer. Les reprises sont vraiment bien, j’en suis très content. On a choisi cet album car il y a un enthousiasme pour ce disque, on m’en parle de temps en temps, on pensait qu’il y aurait assez d’artistes pour le faire. Du coup, le même projet en espagnol est en train de naître.
Comment va se passer le concert à Six-Fours ?
Nous allons véritablement jouer deux concerts : nous monterons sur scène à l’horaire de la première partie pour jouer Let Go en entier, ferons vingt minutes de pause puis reviendrons pour un autre concert plus classique. C’est la première fois que nous ferons comme cela une tournée entière. Ca nous est arrivé à New York pour une soirée. Ici c’est plus de plaisir, je préfère le faire pendant toute une tournée.
Les bénéfices de l’album seront reversés à des associations humanitaires, il est important pour vous d’être des artistes engagés ?
Aussi important qu’être un individu engagé. Cela m’arrive de donner mon opinion en ligne sur des sujets politiques et ça dérange parfois. Mais nous sommes tous citoyens, tous humains. Pour moi il est important de vivre comme je pense, et de le faire publiquement c’est important aussi, il faut s’engager pour la gentillesse.
Ce que nous vivons en ce moment aux Etats-Unis est très dérangeant. Ça me semble impossible qu’on en soit arrivés là. C’est très dangereux. Les gens ont été trop gâtés, ils ne réalisent pas que cette période de paix et de démocratie est récente. Nous n’avons que deux-cent cinquante ans d’existence, nous sommes un pays jeune. Le luxe et la paix dans lesquels vivent les citoyens américains sont des miracles qui pourraient s’arrêter très facilement. Aux Etats-Unis, on ne se rend pas compte de la fragilité des choses. Le Président est en train d’attaquer nos normes de l’intérieur, à force d’orgueil, de paresse et d’avarice. Cela aidera à faire comprendre aux gens qu’il faut avoir de l’empathie, agir, protéger. Il y aura un grand bénéfice en ce sens, espérons simplement qu’il ne soit pas trop tard. En tout cas, il y aura beaucoup de dégâts. Espérons que le résultat soit positif.
Vous avez une relation particulière avec la France…
J’ai de la chance, j’ai passé un peu de mon enfance ici, de mes étés aussi, j’ai beaucoup d’affection pour ce pays. C’est une partie de moi, ma mère est francophile extrême, elle traduit beaucoup de poètes français, elle écrit sur le surréalisme français. Nous avons passé beaucoup de temps dans le Vaucluse, pour être proche du poète René Char. J’aime tout en France, la langue, la bouffe… Mais tous les pays sont fabuleux quand on les connait.
Comment un morceau naît-il ?
Avant nous habitions tous à Brooklyn. On allait en salle de répet’ et on voyait ce qui se passait. Maintenant non, j’écris les chansons puis on les arrange tous ensemble. Comme tout autre travail créatif nous essayons d’exprimer des choses qui sont un peu obliques, notre vie intérieure, nos pensées, sur la vie, l’amour, le travail, le voyage. J’ai un bébé de sept mois, avec sa mère, on invente des petites chansons pour lui tout le temps. Peut-être mes premières chansons étaient simplement pour cela : calmer un enfant. La musique est juste une extension de ce petit acte.
Est-il difficile de se remettre d’un succès aussi grand que celui de Popular quand il intervient sur le premier album ?
Oui, c’est bien et c’est mal, c’est difficile. C’est beaucoup de chance, notre nom a été connu. Ce qui est difficile c’est que cette chanson est très différente de toutes les autres, c’était difficile d’être reconnu pour ça. Cette chanson est une comédie, ce n’est pas ce qu’on est, nous ne sommes pas drôles. Mais elle nous a permis d’être acceptés. Pendant les premières années nous étions connus que pour ce morceau, ce n’était pas évident. Mais c’est tout de même bien d’être connu, j’en suis content.
Votre morceau préféré dans votre discographie ?
« See these bones » sur l ‘album Lucky. J’aime le message. J’ai visité un ossuaire à Rome, dans une église. Il y a des milliers d’os de moines, ils ne sont pas blancs mais jaune foncé, ça sent l’âge. A côté il y a deux pancartes en latin qui disent : « ce que nous sommes vous serez », et « ce que vous êtes nous étions ». Pour moi ça veut dire : « profitez de la vie car vous finirez comme nous », ce n’est pas un message religieux. Le message est fort et important. Je suis sorti léger et encouragé de cet endroit morbide et glauque. Dans cette chanson, je parle de cette expérience.
Peut-on espérer un nouvel album bientôt ?
Je suis en train d’essayer. Je suis là avec ma guitare en ce moment-même et après notre interview je vais continuer à chercher.
Qui sont vos modèles
The Kinks. Bob Dylan. Ce n’est pas un modèle mais une inspiration car c’est impossible de faire comme lui, je pense qu’il a écrit les meilleures chansons en anglais. Egalement Neil Young, Sonic Youth, Leonard Cohen, Stereolab. Je suis fan de musique encore plus que ne je suis musicien.
Vous avez écrit des chansons en français, en quoi est-ce différent d’écrire du rock dans notre langue ?
J’ai écrit : « Je t’attendais ». Daniel (bassiste ndlr) a écrit : « Là pour ça » sur Let Go. C’est intimidant car c’est une langue qui demande une plus haute précision que l’anglais et ce n’est pas ma langue natale. Mais j’aime l’exercice. Après, techniquement, il y a une différence en anglais sur des mots importants : I and You. On peut les prolonger, les étendre. Alors qu’en français ce n’est pas le cas de Je et Tu. Ça rend l’écriture plus facile en anglais.