Matthieu Ricard – Le pouvoir libérateur de la danse sacrée

« Danses sacrées » jusqu’au 23 décembre au Liberté à Toulon

Détenteur d’un doctorat en génétique cellulaire, Matthieu Ricard vit dans l’Himalaya depuis plus de cinquante ans, est moine bouddhiste, et interprète français du Dalaï Lama depuis 1989. C’est aussi un photographe passionné depuis son adolescence. Au Liberté vous découvrirez son exposition consacrée aux danses sacrées tibétaines.

Vous exposez vos photos dans le cadre du Thema « Y croire ? » au Liberté, qui aborde différents types de croyances. Vous avez à l’origine une formation scientifique, avec un doctorat en génétique. Selon vous, croire est-il une nécessité pour l’Homme ?
Le bouddhisme met davantage l’accent sur la confiance que sur la croyance. On y parle plutôt de « connaissance valide », qui est fondée soit sur l’évidence directe (lorsqu’on voit un feu brûler devant nos yeux), l’inférence (déduire qu’il y a un feu si l’on voit de la fumée s’élever au loin) et le témoignage valide : si un certain nombre d’éminents physiciens annoncent qu’ils ont découvert une nouvelle particule élémentaire, nous avons de bonnes raisons de leur faire confiance et nous savons que si nous entreprenions d’étudier la physique nous pourrions vérifier leurs résultats. De la même façon, dans le bouddhisme, on accorde une grande valeur aux instructions du Bouddha, dans la mesure où selon les divers critères de jugement dont nous disposons, nous avons pu vérifier la validité de ces enseignements, même si certains d’entre-deux ne sont pas encore pleinement accessibles à notre compréhension dans le moment.

Les photos que vous exposez sont consacrées aux danses effectuées par les moines tibétains, quelle est leur importance dans cette spiritualité ?
Si la danse et la musique profanes sont interdites par la règle monastique, les danses sacrées sont d’une toute autre nature. Pour les moines, elles sont une méditation et un partage spirituel avec la communauté laïque qui vient y assister. Ces danses, dit-on, « libèrent » par la vue, tout comme la musique sacrée libère par l’ouïe, la bénédiction d’un maître spirituel par le toucher, une substance sacrée par le goût, et la méditation par la pensée. « Libérer » se réfère ici à l’émancipation du joug des toxines mentales que sont la haine, l’avidité, la confusion, l’orgueil et la jalousie notamment.
Les danses sacrées tibétaines sont, elles aussi, éminemment symboliques. Lorsqu’on voit, par exemple, un danseur découper une effigie à l’aide d’un sabre, il s’agit de trancher la racine de l’ego avec le sabre de la connaissance.

Vous faites de la photographie depuis votre adolescence, et vous déclarez : « Un hommage à la beauté intérieure des sages et à la beauté extérieure de la nature : c’est ainsi que je conçois mon humble travail photographique. ». En quoi cet art est-il important pour vous ?
J’ai commencé à prendre des photos vers l’âge de douze ans. Je photographiais des flaques d’eau et des reflets de lumière. On disait : « Ne comptez pas sur Matthieu pour les photos de famille. » Après m’être établi dans l’Himalaya, je photographiais mes maîtres spirituels et leur univers. Mon but était de partager la splendeur, la force et la profondeur dont j’étais témoin. J’utilise la photographie comme une source d’espoir, dans l’intention de restaurer la confiance dans la nature humaine et de raviver l’émerveillement devant la part sauvage du monde.

Comment s’est fait le choix des photos que vous exposez au Liberté ?
À chaque exposition, nous essayons de construire en ensemble cohérent qui puisse, je l’espère, inspirer ceux qui posent leurs regards sur ces images. La photographie est ainsi un partage.

Cette exposition s’effectue en partenariat avec votre association Karuna Shechen, pouvez-vous nous parler de celle-ci ?
J’ai cofondé Karuna-Shechen il y a vingt-trois ans. Nous avons commencé par quelques projets d’écoles et de dispensaires, au Tibet, au Népal et en Inde. Aujourd’hui Karuna-Shechen vient en aide à plus de quatre cents mille personnes chaque année dans ces trois pays, principalement en Inde, afin de répondre aux besoins vitaux des populations les plus démunies dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la formation professionnelle, de la sécurité alimentaire, de la protections de l’environnement, et de la préservation de l’identité culturelle. Depuis vingt ans, j’ai consacré à Karuna-Shechen plus de 95% de mes revenus.

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