Matthieu Tazo, Guerre et amitié

Roman «Au nom des pères»

 

Entre l’écriture, sa vie de famille et ses impératifs professionnels aux Etats-Unis, Mathieu Tazo, auteur talentueux originaire de Toulon, a décidé de tout concilier en suivant ses envies. Il publiait en mai son troisième roman : « Au Nom Des Pères ». Un roman historique captivant qui se déroule dans le sud de la France.

 

Qu’est-ce qui t’a donné envie d’écrire sur ce thème ?

C’est parti d’un constat assez banal. Les deux grandes guerres sont distantes de vingt à vingt-cinq ans. La première a provoqué la mort de presque vingt millions de personnes. On ne voulait plus revivre cela et pourtant, une génération plus tard, les enfants feront la seconde. C’est encore soixante millions de vies enlevées. Ce lien générationnel m’a amené à développer ce point de vue parents/enfants. En parallèle, j’avais envie d’aborder le point de vue de l’amitié. Je me suis aussi aperçu qu’à Marseille et Toulon, de nombreux événements en lien avec la guerre avaient eu lieu, comme la Rafle de Marseille et le sabordage de la flotte à Toulon.

 

Comment as-tu exploité l’histoire du sabordage de la flotte ?

Après l’Armistice, la flotte française devait rester neutre. Jusqu’en 1942, c’est le cas. La flotte était stationnée à Toulon. Le 8 novembre, les forces anglo-américaines débarquent en Afrique du Nord, le 11 Hitler décide d’envahir la zone libre car il ne fait pas confiance à Pétain pour défendre la côte. Les forces françaises, craignant que la flotte tombe aux mains des allemands, diffuse une décision secrète, celle de se saborder en cas de prise intempestive. Le 27 novembre 1942 dans la nuit, les allemands pénètrent dans Toulon pour récupérer les navires. L’opération de sabordage est mise en oeuvre. Quelques sous-marins parviennent à s’échapper et à rejoindre les alliés, quelques bâtiments sans valeur militaire sont capturés mais plus d’une centaine de navires sont coulés. Du coup personne n’est vraiment mécontent de cet événement, alliés et allemands sont rassuré. Tout cela sur fond d’antagonisme avec les anglais.

 

Pourquoi utiliser le biais de l’amitié ?

L’amitié est mise à rude épreuve en période de guerre. Pourquoi cette seconde guerre mondiale… Pourquoi allemands et français ? S’agit-il d’une revanche de la première, qui elle-même serait une revanche de 1870 ? Ces guerres sont complexes, bien plus que les guerres napoléoniennes, elles s’intensifient par les enjeux politiques et économiques. Le conflit est une construction humaine, c’est un fondement de notre histoire et le processus se perpétue en instaurant une haine entre les peuples. Si cette création est possible, je me dis qu’il est possible également de la renverser et d’en donner la vision, plus discrète, d’une amitié qui naît et résiste à ces conflits. Un discret événement très peu connu, dans ce thème là de l’amitié, c’est la trève de la boue. Ce fut un sujet tabou pendant de nombreuses années, avec donc très peu d’informations dessus. Cela m’intéressait de le raconter.

 

Tu évoques le trouble de la prosopagnosie dans ce roman, pourquoi ?

Cette incapacité à reconnaitre des visage touche un certain nombre de personnes : quand quelqu’un te dit qu’il n’est pas physionomiste, c’est cela… Mais il y a plusieurs degrés. Le cas extrême c’est lorsqu’on est incapable de reconnaître un visage d’une minute à l’autre. C’est un élément romanesque intéressant pour Rose qui a vingt ans, qui vit dans la zone de démarcation. Elle tombe amoureuse d’un résistant de Marseille,dont elle est l’unique témoin du meurtre. Comment retrouver le meurtrier sans pouvoir se souvenir de son visage ? Elle va mener sa propre enquête , jonglant avec ses forces et ses faiblesse. J’ai trouvé cette stratégie de compensation intéressante, notamment lorsqu’elle affuble les gens d’adjectifs pour s’y retrouver.