Michel Benizri – Mieux comprendre le conflit israélo-palestinien.

15.09 – Compagnie des Menteurs – Bière de la Rade – Toulon

 

Auteur, comédien, conférencier, Michel Benizri est un artiste accompli. En incorruptible humaniste il ouvre des débats parfois brûlants , donnant la parole à qui souhaite la prendre. Nous le retrouvons pour discuter de son dernier spectacle-conférence «Moi, français-juif-arabe, comment j’ai démissionné du sionisme», un échange pourvoyeur de réflexions.

 

Pouvez-vous m’en dire plus à propos de votre compagnie ?
Avec Joëlle Bernier, nous avons créé la Compagnie des Menteurs en 1997, cela fait plus de 20 ans que nous faisons éclore des projets artistiques, des créations toujours plus exaltantes.
Nous accompagnons l’élaboration des pièces jusqu’à leur représentation, collaborant sans cesse avec de nouveaux artistes en fonction des projets (auteurs, danseurs, musiciens, plasticiens, comédiens…) à la fois sur le territoire Varois, en France ou à l’étranger.
 
D’où vous est venue l’idée de ce nom de compagnie ?
La Compagnie des Menteurs ?  On dit que comédien, c’est une profession de menteurs. Et en même temps, nous devons être sincères, c’est un beau paradoxe, n’est-ce pas ? Et puis, il y a ceux qui utilisent le mensonge pour masquer la vérité, nous, nous l’utilisons pour justement la faire éclore. Puisque tout se raconte, c’est que tout est fiction. Nous sommes là pour raconter des histoires, mettre le doigt sur les émotions, et le temps de la représentation, les rendre vraies. 
C’est cette contradiction de la « représentation » qui nous a donné l’idée de nommer notre troupe la Cie des Menteurs.
 
A propos des « conférences gesticulées », pourriez-vous me dire ce qui a motivé cette volonté de prise de parole ?
Je vais tout d’abord tenter de définir au mieux le concept de conférence gesticulée.
Il y a des spécialistes de tout qui nous dictent non seulement ce que nous devons faire, mais aussi comment nous devons penser, comment nous devons comprendre… C’est ce qu’on appelle la pensée dominante. Une conférence gesticulée est un acte d’éducation populaire fondé sur l’envie de partager ce qu’on a compris, tel qu’on l’a compris, là où on l’a compris. C’est un acte subversif qui transgresse la légitimité, toujours contestée de parler en public. Elle dévoile, dénonce, questionne et analyse les mécanismes de domination. C’est une forme scénique d’expression directe. On cause de son histoire, de ses idées, de celles qu’on a lues, de celles que l’on a envie de partager …Avec des théories incarnées, on raconte, on n’explique pas, on ne fait l’économie ni de soi, ni de la complexité du sujet, du monde.
Par exemple, quand on a une expérience de 20 ou 30 ans dans un domaine, on devient un véritable expert ! C’est de l’importance de cette expertise personnelle que les gens n’ont pas conscience. C’est primordial de la mettre en lumière, de mettre en parallèle leur histoire, leur vécu et leur expertise, c’est-à-dire aussi leur compréhension du monde.
On décrit souvent les Conférences Gesticulées de cette façon : il existe un savoir froid et un savoir chaud. Le savoir froid rassemble disons les connaissances analytiques, les résultats d’une étude théorique sur un sujet tandis que le savoir chaud se nourrit d’expérience, d’histoire et de pratique. L’idéal est donc de mélanger le savoir chaud et le savoir froid, sans pour autant obtenir du tiède, au contraire, ils se subliment mutuellement. 
Une conférence gesticulée c’est la combinaison de ces deux savoirs, et puisqu’on raconte son expérience personnelle : il y’a donc souvent une dimension auto-biographique.
 
Qu’a inspiré votre conférence MOI, FRANÇAIS-JUIF-ARABE, COMMENT J’AI DÉMISSIONNÉ
DU SIONISME ?
J’avais en tête depuis longtemps de raconter « notre histoire d’Israël ». L’idée étant de faire émerger  la question de la responsabilité historique européenne, française et britannique dans la problématique du conflit israélo-palestinien. J’avais envie de partager un certain nombre de mes réflexions à propos de cette problématique. Avec cette question récurrente : Comment en sommes nous arrivé là ?
C’est un travail d’étude, d’analyse, d’approfondissement qui m’a conduit à comprendre pourquoi il a été dit que les Juifs avaient un problème en Europe. Pour beaucoup, la première des choses qui se dégage du conflit israélo-palestinien, c’est qu’il s’agirait d’une guerre de religion, or, ni historiquement ni de manière factuelle il n’est question de religion mais de territoire. Pour le savoir, il faut finalement retracer l’histoire jusqu’au XIIIème siècle et l’implantation chrétienne progressive en Europe. A cette époque, il est nécessaire d’asseoir le pouvoir de cette chrétienté, des dispositions restrictives sont prises à l’égard des communautés non chrétiennes, soit les juifs et les musulmans, on leur enlève notamment le droit de posséder la Terre, seule richesse à cette époque, et ces communautés se retrouvent dans l’obligation de porter un signe distinctif et d’exercer des métiers interdits aux chrétiens, comme le prêt d’argent par exemple ou les métiers de la médecine etc, qui sont à l’origine des clichés actuels.
Tout mon propos est de dénoncer la pensée européenne depuis le 19ème siècle, Europe dans laquelle est né le projet sioniste. C’était une époque où la pensée dominante était colonialiste, avide, antisémite et profondément raciste. Il y a eu l’affaire Dreyfus, et la Shoa. Et depuis 1789, la révolution française véhicule l’idée que chaque peuple doit disposer d’un état nation… pour se sentir protégé. En même temps, le « récit national » désigne depuis longtemps déjà un ennemi, le Sarazin, un récit cousu de mensonges, mais bien ficelé, fondé sur la haine, la peur de l’autre, un récit qui constitue les fondations de notre culture. Et donc de nos peurs. Le discours dominant, colonialiste était de dire que les arabes sont un peuple arriéré, des indigènes à soumettre ! Et en même temps, l’Algérie fut département français avant la Savoie… La Palestine de l’Empire Ottoman n’était pas qu’un désert traversé par quelques chameaux !
Par exemple, aujourd’hui, la pensée dominante, s’évertue à faire penser qu’être anti-sioniste c’est être antisémite. Elle superpose en fait deux fictions pour n’en former plus qu’une, totalement absurde. On peut etre juif et anti-sioniste comme il y a des chrétiens qui sont sionistes ! Preuve, encore une fois, que politique et religion, ensemble, font couler le sang. 
Comment en est-on arrivés là ? Quelles sont les explications géopolitiques de ce conflit perdurant ? L’histoire des juifs reste floue pour une majorité d’entre nous, le conflit israélo-palestinien l’est également.
L’actualité n’en finissant jamais d’être alimentée, il est crucial de démonter l’ensemble des mécanismes de récit de cette même actualité, qui peuvent vite devenir manipulation, c’est-à-dire qu’est ce qu’on raconte et comment mettons nous, ou pas, en lien les événements et la pensée, l’idéologie de ceux qui nous parlent. C’est tout l’intérêt de ces conférences, parce qu’au-delà de la « simple » analyse, une parole qui ne serait pas suivie d’effet, les conférences gesticulées, dénoncent certes, mais proposent aussi des solutions, par l’expérience de celles et ceux qui prennent là, la parole. 
Si, bien sur, le passé est écrit, la question est qui l’a écrit ? Qui profite de cette version de l’histoire ? Parce qu’il y a toujours de l’idéologie derrière un récit. Comment se détacher des chaînes que docilement nous acceptons de porter ?
L’avenir est une page blanche, à nous de la rendre intéressante.
 
Ouh la la, c’est vraiment sérieux, sérieux, tout ça. Je dis ça parce qu’en même temps, dans les conférences gesticulées, on s’amuse beaucoup. L’humour et l’autodérision rendent digeste et compréhensible ce qui serait insupportable. C’est avec le sourire qu’on se rencontre, avant même de se comprendre.