MICHEL BOUJENAH – L’angoisse d’Arpagon

L’Avare – Le Liberté Scène Nationale de Toulon – Du 29 septembre au 1er octobre

Au travers d’une mise en scène singulière de Daniel Benoin, Michel Boujenah campe un avare pas comme les autres. Subtilement et avec le souci
de respecter l’écriture originale de la pièce, le comédien révèle du personnage satyrique, pingre et monstrueux qu’est Arpagon, sa dimension
humaine, faillible et tourmenté.

On vous connaît surtout en tant qu’humoriste seul en scène, qu’est-ce qui vous a donné envie de monter sur scène dans du théâtre plus classique ?

Au début, j’avais dit non. Puis je me suis dit on ne refuse pas Molière. Sans Molière, il n’y aurait pas le théâtre ni la Comédie Française, il existerait beaucoup moins de choses dans ce métier. Molière fête ses quatre-cent ans cette année, c’est un monument : on ne peut pas dire non à ça. Au début, j’ai dit non car j’avais peur. Quand vous voyez le nombre d’acteurs qui ont joué « L’avare » vous avez du mal à accepter, vous êtes impressionné. Finalement, j’ai dit oui, pensant que je connaissais bien la pièce… et là encore, j’ai commis une grosse erreur. Quand je l’ai relue, je me suis dit : « mon Dieu, dans quoi me suis-je embarqué ? » Puis j’ai travaillé dur, très dur pendant des mois et des mois, je n’ai rien lâché et je peux vous dire que ça a été très difficile, mais passionnant en même temps.

Vous révélez une dimension dramatique du personnage d’Arpagon, qu’est-ce qui vous a donné l’envie d’aborder ce personnage avec cet angle?

Souvent on le caricature. Mais quel est le sujet de la pièce ? C’est un mec malheureux, veuf, qui ne sait pas s’occuper de ses enfants. Il a construit sa vie sur la survie, et la survie, c’est le pognon. Il a des biens, mais ce n’est pas un noble non plus. À l’époque il n’y a que la noblesse qui se fout de l’argent. Par ses propos, on devine qu’il a trimé toute sa vie pour le gagner. C’est son meilleur ami parce qu’il le protège. On ne sort pas du ventre de sa mère avare, on le devient et pour quelles raisons, sinon par angoisse ? L’angoisse du manque, de la mort, de
la solitude… Pour moi, c’est aussi une pièce sur le désespoir. Je suis proche de l’analyse de Michel Bouquet qui disait qu’il était à la fois monstrueux et naïf. Il est monstrueux parce que l’angoisse de perdre l’a rendu monstrueux, mais c’est aussi un homme qui tombe amoureux,
qui a besoin de reconnaissance et d’attention.

 

Comment s’est faite la rencontre avec Daniel Benoin ?

A l’époque, il dirigeait la Comédie de Saint-Étienne et c’est un des premiers directeurs, sinon le premier, d’un théâtre subventionné qui m’ait invité à jouer. Il s’est intéressé à mon travail. Pourquoi ? Je ne sais pas. En tout cas, depuis ce moment-là, on ne s’est jamais quitté. Quand j’avais une jeune compagnie, une partie du théâtre institutionnel me tolérait, mais quand j’ai commencé à jouer seul, ce fut fini. Je faisais du music-hall, ce n’était considéré pas comme du théâtre. Mais pas Daniel. Il est éclectique, il aime des styles différents. Il a pris tous mes spectacles quand il dirigeait le théâtre de Nice et un jour, il m’a proposé de jouer dans une pièce qu’il mettait en scène. Quand il a quitté Nice, je l’ai suivi. Pas question pour moi de le quitter ou de quitter ma relation de travail avec lui.

Comment travaillez-vous un rôle ?

Avant tout, je travaille bien le texte. Je l’apprends encore et encore. Ensuite, je l’apprends en essayant de le comprendre, ce qui n’est pas forcément évident dans mon cas ! (rires) Et je me mets à travailler. En général, je travaille aussi avec des gens pour répéter et travailler ma mémoire. C’est complètement différent lorsque c’est une pièce ou un spectacle que j’écris puisque j’en suis l’auteur, je connais le texte. J’écris,je réécris, je change le texte, ça facilite l’apprentissage. Mais quand vous jouez Molière, vous ne faites pas le finaud. Vous respectez Molière parce que si vous ne respectez pas Molière, il ne vous respectera pas lui non plus. Il est incroyablement vivace, il est haut, comme on
dit. Pour moi, la seule manière de jouer Molière, c’est de le respecter et donc de jouer exactement ce qui est écrit.

Valentin Calais

https://citedesarts.net/tv/videos/lavare-avec-michel-boujenah/