Pascal Ducourtioux – Un patrimoine contemporain
Hors-série Fimé 2022 – Le jeudi 10 novembre 2022 – Théâtre Marelios à La Valette-du-Var
Christian Leroy et Pascal Ducourtioux sont tous les deux compositeurs de musiques de films et ont enregistré des albums avec de nombreux ensembles. Ils jouent en ciné-concerts depuis de nombreuses années. Les deux musiciens offrent un regard musical complice pour la lecture de ces films de patrimoine qu’ils veulent inscrire dans une réelle contemporanéité.
Qu’est-ce qui vous intéresse dans cet exercice du ciné-concert ?
Ce que j’aime, de plus en plus, c’est avoir un rapport transversal à la musique, la mêler avec d’autres arts, me retrouver dans d’autres situations qu’un concert frontal. Que ce soit du théâtre, créer une musique de films, des marionnettes, un ciné-concert… La musique rayonne complètement différemment. Là, on est sur des moments de musique contemporaine, liés à l’image, ce qui nous permet de fonctionner d’une autre façon. C’est une autre lecture de la musique. Et le choix du roi : on redonne une actualité à ces films du patrimoine. La musique est très importante dans l’accompagnement de ces images. Elle peut changer complètement la signification qu’on leur donne.
Pourquoi avoir choisi ce film ?
J’ai choisi le film « Les Lois de l’hospitalité » de Buster Keaton car il s’inscrit dans les problématiques de notre monde contemporain. Ce film s’inspire de la guerre de Sécession et développe dans cette comédie des thématiques étrangement liées à notre actualité avec cette guerre qui sévit en Europe. Le personnage de B. Keaton est très attachant car sa naïveté lui permet d’échapper et de dépasser les clivages qui occupent les clans rivaux décennies après décennies. Les véritables lois de l’hospitalité finiront par l’emporter. L’air neutre que ce fabuleux acteur porte toujours sur le visage accentue l’aspect comique de son personnage, récurrent d’ailleurs dans tous ses films.
Dans quel style jouerez-vous ?
Notre style musical s’inscrit dans une musique libre où l’improvisation tient un rôle important. Elle n’obéit à aucune règle en particulier si ce n’est d’être toujours au service de l’image pour lui donner du relief. Elle s’inscrit dans la musique d’aujourd’hui sans frontière pour offrir au public une lecture actuelle de ce film du patrimoine. Nous avons de nombreux thèmes musicaux qui sont comme des leitmotivs et qui accompagnent les personnages ou l’action. Nous essayons également d’intégrer le silence comme une respiration et un écrin pour souligner le jeu d’acteur de B. Keaton, si subtil.
Vous êtes multi-instrumentistes, quels instruments avez-vous choisis pour accompagner ce film ?
Les instruments utilisés ici sont le piano, le mélodica (instrument qui s’apparente à l’harmonica) et qui sied bien à l’univers de ce western et une batterie- percussion avec des cloches en bois. C’est très important de jouer sur les timbres orchestraux pour emmener le spectateur dans des horizons sonores inhabituels et relever ainsi ce défi qui est d’inscrire ce film dans la modernité. Nous restons toujours à la fin du ciné-concert avec le public pour échanger et partager un moment avec lui et souvent notre jeu musical et les instruments sont au cœur de la discussion.
Y a-t-il un public de ciné-concert ?
Il y en a de deux sortes. Dans un festival, les festivaliers sont connaisseurs du monde du cinéma. Le public vient avec un regard acéré. Mais quand on est dans un cinéma traditionnel, le public est celui qui vient au cinéma habituellement. Et en général il est émerveillé. Après la projection, on consacre généralement un temps à l’échange avec le public, on parle de l’historique du ciné-concert, de ces grands ensembles du début du siècle… Nous souhaitons appartenir à un certain patrimoine, mais en donner une lecture contemporaine.
Les lois de l’hospitalité
DE BUSTER KEATON DE GEORG WILHELM PABST
Film muet – Noir & Blanc – USA – 1923– 85 min.
Avec Buster Keaton, Natalie Talmadge, Joe Roberts, Ralph Bushman.
Film muet – Noir & Blanc – Allemagne – 1929 – 85 min.
Avec Louise Brooks, Fritz Kortner, Franz Lederer, Alice Roberts.
Dans des contrées lointaines des États-Unis, persistent, de génération en génération, de tragiques luttes ancestrales. Ainsi en est-il des Canfield et des McKay. Quand le jeune, Willie McKay, après avoir grandi, sain et sauf, à New-York, revient au pays, charmé puis invité par sa compagne de voyage, il ne se doute pas que celle-ci n’est autre que la plus jeune des filles Canfield et qu’il vient donc de se jeter dans la gueule du loup ! Dans ce deuxième long métrage de Buster Keaton, la beauté visuelle des Lois de l’Hospitalité est incomparable. La rigueur de l’architecture y est tempérée, sublimée, par la simplicité et la grâce des cadrages, des attitudes et des paysages. Les arbres et l’eau disent ici un poème en marge de l’acrobatie du gag. C’est la tendresse sous le muscle, la main de velours dans un gant de fer.
Michel Mardore – Les Cahiers du cinéma (1962)