Raymond Manna – Une place en prison.
Membre historique du groupe Trust, Raymond Manna est moins connu pour sa charge d’aumônier de prison, qu’il exerce depuis une dizaine d’années suite à sa conversion à la foi catholique. À soixante-dix ans bien tapés, il a monté un concert de gospel pour les détenus du Centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède en lien avec Sacrée Musique. Interview avec l’ancien rockeur au discours toujours aussi… Rock’n’ Roll.
Que prévoyez-vous à la prison de Toulon-La Farlède ?
Un concert du Gospel Philharmonic Experience. On va monter une scène au gymnase. Les détenus auront le droit à deux heures de vacation pour entendre plusieurs membres du groupe chanter, voire discuter avec eux. On a proposé une liste d’environ quatre-vingts participants à la direction, qui décidera d’autoriser nous l’espérons une cinquantaine de détenus à y assister. Il y aura du personnel de l’administration, des surveillants… Ça va être un moment festif, j’espère qu’ils apprécieront !
Pourquoi un concert de gospel ?
Historiquement, le negro spiritual est le chant des esclaves noirs américains. Ils sont accrochés à des chaînes et tapent ça par terre (NDLR : il imite le rythme des chaînes). Ils n’avaient le droit à rien et ils ont fait de la musique avec leur cœur et leur foi : « Mon Dieu, je sais qu’un jour tu vas me libérer de mes chaînes. » Et c’est ce qu’il s’est passé. Le concert va peut-être en toucher un, deux ou trois, on s’en fout du nombre. Ce qui compte, c’est la possibilité pour eux de les faire réfléchir : « J’ai fait des conneries. Qu’est-ce que je veux maintenant ? C’est quoi le sens de ma vie ? »
Vous vous occupez des longues peines en prison, certains imaginent peut-être qu’ils ne méritent pas cette attention…
Certains des gars ont commis des choses terribles et ne sont pas condamnés pour rien. Ils doivent faire leur temps. Après, il y a une différence entre les priver de liberté et continuer à les considérer comme des êtres humains. Ce ne sont pas des chiens mais des hommes et des femmes, nos frères et sœurs en humanité. Je ne suis pas leur juge, je suis leur frère. Je renvoie encore à la Bible, qui dit que « si un seul membre du corps souffre, tous les membres partagent sa souffrance ; un seul de tes frères va mal et c’est tout le corps qui va mal. » Est-ce que je connais sa vie ? Son enfance ? Est-ce qu’on lui a donné ce qu’il devait recevoir ? Est-ce qu’il a reçu de l’amour ? Les bonnes paroles au bon moment ? Bien sûr, il a fait du mal, des horreurs. Mais ce qui importe désormais, c’est la repentance et briser les liens qui l’ont conduit à faire ce qu’il a fait. Pour moi, Sacrée Musique véhicule quelque chose de l’ordre du sacré. Le sacré, ça élève l’âme. Ça leur dit : « Tu es dans une épreuve difficile mais sache qu’à un moment tu vas sortir. Dieu n’abandonne jamais ses enfants. » Les gars ont besoin d’entendre qu’ils sont des êtres humains et qu’ils sont encore vivants. Ils ne sont pas en prison pour ressortir à genoux mais debout, pour assumer s’ils le veulent leur place dans la société, pour faire le bien.
Ce concert peut paraître dérisoire comme action pour des détenus aux vies parfois fracassées ?
Je ne sais pas ce que c’est que le dérisoire. Comme aumônier, voilà mon regard de foi : je sais qu’une seule seconde suffit à Dieu pour toucher le cœur de n’importe quel homme ou quelle femme en ce monde, quel que soit son passé. Ce concert n’est pas une opération commerciale ou une campagne à succès. On s’en fout du succès. Mais si tu crois que Dieu agit en toi, tu es déjà sur la bonne route et tu vas vivre la prison autrement. Tu ne seras plus dans ta cellule enclin à faire le mal, ou même à y penser. Tu vas le rejeter et ça va ouvrir les barreaux de ton cœur. C’est un premier pas vers la vraie liberté.
Pour finir, Raymond, qu’est-ce qui vous a poussé à devenir aumônier de prison ?
J’ai été marqué par cette parole de la Bible où Jésus dit : « J’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi ! » Et les gars répondent : « Mais quand, Seigneur ? » Et lui : “Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.” Quoi de plus petit qu’un handicapé, qu’un gars de la rue ou qu’un détenu ? Ils n’intéressent personne ! Alors j’ai décidé de m’intéresser à ces plus petits.