
Renaud Nattiez – Hergé fait chanter la bande dessinée
« Hergé musicien ? » en librairies
Et si la musique était la grande oubliée des études sur Tintin ? C’est le pari du livre « Hergé musicien ? », coécrit par le musicologue Jean-Jacques Nattiez et son frère Renaud Nattiez, administrateur des Amis de Hergé. Un ouvrage passionnant qui explore les multiples fonctions de la musique dans l’univers du célèbre reporter à la houppette.
Renaud, nos lecteurs te connaissent en tant que Tintinologue et administrateur de l’association Les Amis de Hergé, mais ton frère est co-auteur du livre. Quel est son parcours ?
Jean-Jacques est un musicologue reconnu, auteur d’une cinquantaine d’ouvrages. Il a beaucoup travaillé sur les liens entre musique et littérature, notamment l’opéra, l’ethnomusicologie ou encore des figures comme Lévi-Strauss ou Proust musiciens.
Pourquoi s’intéresser à la musique dans l’œuvre d’Hergé ?
Il existe environ six-cent livres sur Tintin pour seulement vingt-quatre albums, ce qui montre l’extraordinaire richesse de cette œuvre. On a tout étudié : géopolitique, psychanalyse, histoire, art, féminisme… mais jamais la musique dans son ensemble. Pourtant, elle est omniprésente. L’idée, c’était de voir si cette thématique souvent jugée secondaire pouvait être abordée avec sérieux. Mon frère, musicologue, s’en est chargé avec rigueur. Moi, je l’ai accompagné avec ma connaissance intime de l’univers d’Hergé.
Quel est la relation d’Hergé à la musique ?
Il a parfois affirmé dans des interviews qu’il ne s’intéressait pas à la musique ou qu’il n’aimait pas l’opéra, mais c’était souvent de la provocation. En réalité, comme le rappelle Philippe Godin dans la préface du livre, il appréciait la musique, même s’il ne la pratiquait pas. Ses goûts musicaux étaient très larges. Dans un questionnaire publié dans une revue belge, il cite aussi bien des classiques que de la chanson française — Brel, Brassens, Barbara, Dutronc — et même du jazz et du rock. Il n’était pas un mélomane professionnel, mais un curieux, un amateur éclairé. Ce qui est fascinant, c’est que la musique est présente dès « Tintin au pays des Soviets » jusqu’à « Tintin et l’Alph-Art ». Elle prend des formes très variées : chanson populaire, comptines, opéra, airs folkloriques… Et bien sûr, l’ »Air des bijoux » chanté par la Castafiore.
Quel rôle joue la musique dans les aventures de Tintin ?
Elle a plusieurs fonctions. D’abord, une fonction comique ou de respiration. Elle permet de détendre l’atmosphère dans des récits parfois très intenses. La musique intervient souvent dans des moments de joie, parfois d’ivresse — comme avec le capitaine Haddock. Elle peut être liée à la nostalgie aussi, comme avec les chants de marin. Mais elle a aussi un rôle narratif. Dans « Les Cigares du Pharaon », Tintin joue de la flûte pour apaiser un éléphant. Dans « Les Bijoux de la Castafiore », l’air chanté par Bianca donne l’idée à Tintin que c’est une pie qui a volé les bijoux. Dans « Les Sept Boules de Cristal », un concert provoque une scène clé.
Est-elle représentée fidèlement dans les albums ?
Pas vraiment. Hergé dessinait parfois des partitions fantaisistes : des croches à la place de blanches, des portées improbables… On s’est aussi aperçu que souvent les phrases musicales se terminaient par Ré et Mi, clin d’œil au nom de famille d’Hergé qui s’appelait Georges Remi.
Quelle musique représenterait le mieux l’esprit de Tintin selon toi ?
C’est une question piège. L’air le plus représenté est « L’air des bijoux », même si la Castafiore n’apparaît qu’au tiers de l’oeuvre. Mais un exemple emblématique, c’est dans « Le Temple du Soleil ». Tintin, Haddock et Tournesol vont être brûlés vifs. L’éclipse de soleil les sauve. Juste après, Haddock chante « Le soleil a rendez-vous avec la lune » de Trenet. C’est typiquement hergéen : le mélange du dramatique et du comique, du tragique et de la légèreté.
Fabrice Lo Piccolo