Renaud Nattiez, Pour raconter une histoire, il faut créer un monde.

12.01 – Dédicace – Librairie Falba – Toulon

 

Renaud s’est pris de passion dès sa plus tendre enfance pour un des personnages favoris des enfants dans le monde : Tintin. Ce valettois, grand voyageur, haut fonctionnaire au ministère de l’Education Nationale, vient de publier son troisième roman consacré aux femmes dans Tintin, qu’il vient de présenter à la Fête du Livre du Var sur le stand de la librairie Contrebandes. En janvier, il sera à la Libraire Falba pour nous parler de l’ouvrage.

 

Comment est née cette passion pour Tintin ?
Le premier livre que j’ai eu entre les mains, avant même de savoir lire était “L’île noire”. Tintin ne m’a pas quitté depuis, il a accompagné mon enfance. Ca a orienté ma vie professionnelle : j’ai beaucoup voyagé, travaillé à l’international… Si je devais emmener quelque chose sur une île déserte ce seraient les vingt-quatre albums. Dans ma jeunesse, on ne voyageait pas facilement dans les grands pays lointains, il fallait faire un effort pour faire comme Tintin. Hergé lui même ne voyageait pas au départ, il travaillait sur documents.

Votre dernier livre est consacré aux femmes dans Tintin, on a souvent taxé Hergé de misogynie, est-ce le cas ?
Les deux grandes critiques faites à Hergé sont le racisme, en particulier dans “Tintin au Congo” et la rareté des femmes dans Tintin ce qui fait penser à de la misogynie. Elles sont peu nombreuses et présentées sous un jour outrancier et caricatural. Mon essai fait le point sur les deux aspects. Concernant la rareté, et on ne l’a pas souvent dit, j’ai voulu montrer que c’est avant tout la rareté de la famille traditionnelle, telle qu’on l’entend dans la société occidentale. Là-dessus Hergé est moderne : les héros n’ont pas d’épouse, ils vivent entre potes, un peu en colocation. Lui-même n’avait pas d’enfant. Dans une BD qui à l’origine est plus destinée aux enfants, il y en a très peu. Abdallah est le seul vrai enfant, et c’est un garnement. Chang et Zorino sont déjà ados. Tintin est un personnage fondamentalement libre, avec une absence de détermination. Il n’a ni famille, ni parents, ni épouse, ni enfants, seulement son chien Milou et Haddock, son ami. Il n’a pas vraiment de contraintes matérielles, pas vraiment de nationalité précise (même s’il est belge), pas de logement à lui, pas de voiture. Cela permettait à Hergé d’être lui-même très libre dans ses aventures. Quand il travaillait à l’hebdo Coeur Vaillant, avant la guerre, on lui en avait fait le reproche. Hergé fut obligé d’inventer une autre série : Jo, Zette et Jocko, qui correspondait plus à l’archétype familial. Mais ça ne lui a pas plu, il n’en a fait que cinq. Tintin lui au moins est libre, mais comme dans la citation de Poil de Carotte : “tout le monde ne peut pas être orphelin.”

Votre premier livre est Le mystère Tintin, en quoi est-ce un tel mystère ?
C’est un gros ouvrage qui est le résultat de réflexions et notes prises depuis de nombreuses années. C’est un travail de recherche que j’ai eu le plaisir de faire éditer par Benoît Peeters, un grand connaisseur de Tintin. Tintin est un succès universel, traduit en cent-vingt langues, et qui a encore du succès en 2018, alors que le dernier album achevé est paru en 1976, Hergé s’atant opposé à un econtinuité. Pourtant, on en vend toujours environ un million et demi par an. Au total il y a eu deux-cent soixante millions d’exemplaires vendus. Beaucoup de jeunes lisent Tintin aujourd’hui, alors que les codes sont dépassés. Je donne une raison surtout et je pense qu’elle est originale. Il y a eu déjà des explications données. Tout d’abord, une grande diversité des niveaux de lecture, pour tous les âges. On y trouve de l’Histoire, comme dans “Le lotus bleu” avec le conflit sino-japonais, du comique, de la sociologie, de l’ethnologie, de l’aventure, du suspense, et même une part d’angoisse, on y voit des morts. Moi j’ai été marqué par ces images de la momie de Rascar Capac. Autre élément très important : Hergé crée un monde. Umberto Ecco disait que pour raconter une histoire, il faut créer un monde. Celui de Tintin est autant vraisemblable que le nôtre. Des personnages y reviennent pendant quarante ans : Alcazar, Rastapopoulos, la Castafiore. Ils ont une vie en dehors des albums, ils vieillissent. Même Tintin s’embourgeoise. Hergé en arrivant au bureau disait à ses collègues : “Vous ne savez pas ce que j’ai appris cette nuit : le général Alcazar a une maîtresse”. D’autre part, il a un objectif moral très clair : l’idéologie des boyscouts, la victoire du bien. Pour moi c’est comparable au succès du football : c’est un sport lisible avec des règles simples. On croit en ce monde, on s’identifie facilement à Tintin. Il y a des petits chinois qui croient que Tintin est chinois. On a considéré qu’Hergé est le plus grand représentant de la ligne claire : c’est un dessin extrêmement net, mais aussi un scénario très clair, extrêmement compréhensible.

Votre album favori de Tintin ?
L’album qui pour moi atteint la perfection, aussi bien dans le dessin que dans le scénario est “L’affaire tournesol”, sorti en 1956. Il est très bien dessiné, le scénario est grand. On est à ce moment aux deux-tiers de son oeuvre. Mais j’aime aussi beaucoup “Les bijoux de la Castafiore”, l’antépénultième album. Il y boucle son oeuvre. Cela ressemble à un album de Tintin, mais ce n’en est pas vraiment un, il n’y a pas de voyage, pas d’aventure, pas de bandits, et pourtant il arrive à entretenir le suspense, avec des fausses pistes. C’est l’anti-Tintin, il se moque un peu de lui-même, et pour moi la boucle est bouclée.

 

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