Romain Bertet, la danse nous confronte à nous-même
Romain Bertet est danseur contemporain et chorégraphe. Il dirige la Compagnie de l’Oeil Ivre,
et vient d’ouvrir un lieu de résidence à Toulon : le Volatil, pour sa compagnie et ouvert aux
autres artistes. Nous l’y avons rencontré.
Tu as commencé la danse à vingt-quatre ans, quel fut le déclic ?
C’est un mélange de beaucoup de choses. La femme avec qui j’étais avait beaucoup dansé puis arrêté. Elle a voulu reprendre, je l’ai accompagnée. Une personne que j’ai rencontrée donnait des cours d’impro. Le désir a grandi, je me suis posé la question de passer mon temps à danser. J’étais en fac de sociologie, j’ai orienté ce travail vers la danse puis l’ai délaissé pour me concentrer sur la danse. Je suis rentré dans un parcours plus classique avec un chorégraphe varois Pascal Montrouge.. Un an après avoir commencé je me retrouvais payé sur un plateau, la danse contemporaine permet des parcours comme celui-là, je ne suis pas un cas unique, surtout chez les hommes.
Que cherchez-tu à exprimer à travers ton art ?
Je ne crois pas à l’idée de s’exprimer par l’art. Aujourd’hui, je ne peux pas faire autre chose que de fouiller par l’art, de permettre des rencontres par l’art. C’est un très beau moyen de se confronter à soi-même. Ce jeu de miroir m’intéresse : qu’est-ce qu’on exprime ensemble ? La création artistique a un enjeu très solitaire par moment mais aussi une subjectivité commune. Partager avec le public, qu’il se demande ce que ça lui fait. Dans mon travail de chorégraphe, il y a des traces de mon parcours sociologique et anthropologique. Les danseurs se mettent volontairement dans un territoire, que l’on essaie de borner et de voir ce que ça nous évoque, en temps qu’européens, français, toulonnais, en tant que citoyens et aussi par rapport à nos histoires. Comment les propositions musicales et celles des autres danseurs me déplacent. Nous nous mettons ensemble avec des points de vue différents, des médiums différents, et essayon de trouver une histoire commune.
Comment fonctionne le Volatil ?
Le Volatil est tout neuf et inauguré le 9/9. Les gens qui nous en font la demande, que l’on connait, on leur prête les clés. Nous avons besoin de définir ce lieu à plusieurs, avec ceux qui travaillent avec moi dans la compagnie, comme Shanga (Mozaic ndlr) au niveau administratif ou Charles l’éclairagiste. Le groupe va s’élargir, on réfléchit pour trouver un moyen de permettre à un maximum de gens de venir. Mon désir est de faire se croiser les pratiques, d’ouvrir au théâtre, à la musique, à des plasticiens. Notre matériel son nous permet beaucoup de choses. Dans mon travail de danseur, il y a beaucoup de construction d’espaces, de décors, nous avons un set d’outils pour permettre à des artistes qui sont dans la matière ou qui veulent s’y essayer, pour qu’ils puissent bricoler, faire du décor. Nous avons une idée de pot commun pour trouver une économie sur le lieu, peut-être certaines locations brutes également, pour permettre aux artistes qui ne sont pas dans cette logique de venir travailler quand même.
Quels sont tes projets ?
Au Volatil, nous allons faire se rencontrer des étudiants des Beaux-Arts et des artistes. Avec la compagnie le spectacle De Là-bas est en train de tourner, nous serons au Merlan le 23 février, Château Arnoult le 21 mars au théâtre Durance, le 5 avril à Draguignan pour un festival de danse au théâtre en Dracénie, et en décembre 2018 à Châteauvallon.
Nous travaillons à une nouvelle création. La première sera les 7, 8, 9 novembre 2018 au Merlan. C’est un travail sur le son, avec le compositeur, Marc Baron. La musique sera faite de sons créés par le danseur, avec un système de micros partout dans le décor. La musique est une danse, la danse est une musique. Marc Baron utilise essentiellement des vieilles techniques d’enregistrement, de manière très visuelle, il sera sur le plateau.
Comment se passe une de tes créations ?
Il y a toujours une question posée en amont, un territoire déterminé avec les artistes. Là c’est le son. Chacun doit trouver sa place, sa manière d’éclairer ce territoire-là. C’est le point de départ. Pour la première pièce le point de départ était la manipulation de l’argile puis c’est devenu une des problématiques, plus forcément la question centrale. Il y a une intention de départ qui est un alibi pour se mettre au travail, en creusant, cela se déplace, on construit ensemble un récit global. Nous arrivons à des créations pas uniquement dansées, mais avec de la lumière, une musique, une scénographie, de la danse, du théâtre.
Quelles sont tes influences ?
Ceux avec qui j’ai travaillé : Maguy Marin, une grande chorégraphe, qui fait partie des gens qui ont défini la danse contemporaine française, Georges Appaix, Ambra Senatore, Alban Richard, j’ai traversé des expériences de création avec eux. Aussi des artistes de qui je me sens proche, leur regard m’intéresse : Josef Nadj, Meg Stuart. Dans le théâtre et les arts plastiques aussi : le Théâtre du radeau de François Tanguy, Christoph Marthaler, Heiner Goebels, un musicien et metteur en scène. Ce sont beaucoup des gens qui sont à la frontière entre les disciplines, le trop de spécialisation me fait toujours un peu peur, je ne cherche pas à être dans les clous d’un vocabulaire précis.