Samuel Thiebaut – Sur une île, une même note résonne différemment.

Du 9 au 14 juillet à Giens et Porquerolles

Depuis 2002, Jazz à Porquerolles cultive une identité unique : une célébration du jazz libre et de la rencontre sur une île sans voitures, baignée de cigales et de silences. À quelques semaines de cette édition très attendue, Samuel Thiebaut, directeur artistique du festival, nous parle d’un rendez-vous à part — entre mémoire, engagement et émerveillement.

Qu’est-ce qui rend Jazz à Porquerolles si particulier ?
C’est avant tout le lieu. Être sur une île, c’est sortir du tumulte du continent. À Porquerolles, il n’y a pas de voitures, pas d’agressions sonores. On chemine à pied vers le Fort Sainte-Agathe, en pleine nature. Cette transition ouvre une autre sensibilité. Le moindre son prend une autre dimension, la même note ne résonne pas pareil ici qu’en ville. Il y a une véritable communion avec l’île, que les artistes ressentent intensément. Certains viennent même plusieurs jours avant leur concert, pour s’imprégner du lieu. Ce n’est pas un festival de programmation impersonnelle. Il est né d’un désir partagé avec Frank Cassenti, puis nourri par les coups de cœur d’artistes qui ont tous en commun d’aimer cet endroit plus que tout. Archie Shepp et Aldo Romano parrains du festival ont marqué son esthétique, puisqu’ils revenaient tous les ans. Frank a créé ce festival en 2002 et m’a demandé de l’aider. Il m’a fait confiance alors que j’étais encore étudiant. J’apportais la structuration d’un projet
culturel, lui avait la vision artistique. Quand il a su qu’il était malade, il m’a demandé de prendre la suite. Je lui ai promis que le festival continuerait. Toutes les éditions lui sont dédiées, mais cette année encore plus. Elle est profondément engagée, ouverte, inventive. Frank aurait aimé cette programmation. Elle accueille presque uniquement des artistes qui n’étaient encore jamais venus.

Jazz à Porquerolles revendique aussi une ouverture au monde.
Absolument. Le jazz que nous défendons est celui de l’improvisation, de la rencontre, de l’inattendu. Ici, on célèbre la curiosité, pas la peur. Nous avons été profondément touchés par les récents actes de xénophobie dans le Var, à Puget sur-Argens. Le festival est, à l’inverse, un espace de dialogue. Des artistes du Canada, de la Réunion, d’Éthiopie, du Mali, de Gambie seront présents. Nous voulons montrer que l’altérité est une richesse. Et ce, dans une jauge volontairement réduite, propice à une intimité rare entre public et musiciens.

Quels seront les temps forts de cette édition ?
Tout commence dès le 9 juillet avec un concert intimiste sur un bateau — un rêve devenu réalité — avec la chanteuse serbe Katarina Pejak. Le 10, hommage au trompettiste Olivier Miconi, disparu trop tôt, avec la fanfare Lazcar Volcano et des invités. C’est gratuit, à l’hôtel Le Provençal à Giens. Le 11, direction l’île avec deux groupes puissants, Lagon Nwar avec la chanteuse réunionnaise Anne Hoarau, et Kutu, un projet éthiopien-électro-jazz explosif initié par Théo Ceccaldi. Avis aux jeunes varois : ce ne sera pas du jazz pépère ! Le 12, un moment suspendu : « Le rythme du silence » avec Yom et les frères Ceccaldi, au coucher du soleil. Puis Jowee Omicil, saxophoniste haïtien-canadien à l’énergie mystique, connu aussi pour ses apparitions dans une série Netflix. Le 13, place aux voix féminines. Marion Rampal, Victoire du Jazz, que nous suivons depuis ses débuts, présentera son projet « Oizel ». En première partie, le très prometteur quartet AMG, à peine vingt ans mais déjà une maîtrise bluffante. Et enfin, le 14, une soirée avec deux géants de la Kora : Ballaké Sissoko, avec qui j’ai réalisé un film, et Piers Faccini. Puis, Sonia Jobarteh, première femme virtuose de cet instrument, pour un concert qui s’annonce inoubliable.

Comment continuez-vous à faire vivre ce festival, malgré les contraintes ?
Nous sommes tous bénévoles. Mais tout coûte plus cher sur une île, il faut des partenaires solides. C’est un engagement de passion, hérité de Frank. Aujourd’hui, je continue en parallèle mon métier de réalisateur de films musicaux pour Arte ou France Télévisions. Mais chaque été, je reviens à Porquerolles, pour prolonger cette utopie artistique. Parce qu’elle est précieuse, fragile… et plus nécessaire que jamais.
Fabrice Lo Piccolo

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