Sylvie Le Bihan – Les gens ont besoin de romanesque.

Les Sacrifiés

Hommage passionné à une Espagne légendaire, « Les Sacrifiés » est un roman d’apprentissage qui dépeint la fabrique d’un héros et le prix de la gloire, où se mêlent, au fil des pages, voyages, sacrifices et passions.

Comment est née l’envie d’écrire ce livre ?
A l’origine, il y a un poème : « Chants funèbres pour Ignacio Sanchez Mejías », écrit par Federico García Lorca, qui parle de la perte d’un ami. Quand j’ai relu les quatre textes, il y a huit ans, je me suis dit que j’aimerais en savoir plus sur cet ami. J’ai donc commencé les recherches pour savoir qui était Ignacio. J’ai découvert non seulement que c’était l’ami de García Lorca mais aussi l’amant d’une danseuse de Flamenco qui s’appelait Encarnación et était la meilleure amie du poète. Quand j’ai découvert ce trio, j’ai compris qu’ils étaient tout à fait romanesques et qu’il fallait que j’écrive un livre dessus.

Quelle est la part de fiction dans ce récit ?
Ces trois personnages ont existé et tout ce qu’il leur arrive est vrai. En revanche, j’ai rajouté un cuisinier au centre de l’histoire, un gitan, personnage fictif qui va être le témoin de leur vie. L’histoire commence quand il a quinze ans et ira jusqu’à ses quatre-vingt-neuf ans. C’est la petite histoire dans la grande, j’aime bien ça. Cela permet de ramener les personnages à leur condition d’humain, car avant d’être des personnages historiques, ce sont avant tout des hommes et des femmes comme nous.

Vous identifiez-vous à vos personnages ?
Oui, je me transpose dans la peau de mes personnages. Je fais beaucoup de recherches et fais appel à mes expériences et à celles de mon entourage. Je parle de la sagesse de la vieillesse tout comme de l’innocence de la jeunesse. Chaque âge a sa beauté, chaque âge a ses souffrances. La vie va très vite, elle peut s’arrêter à n’importe quel moment, il faut trouver sa source de joie chaque jour, ne pas laisser une journée sans avoir vécu quelque chose qui nous faisait plaisir. Être écrivain, c’est être curieux de tout ce qu’il se passe autour de nous. C’est sortir parfois de notre zone de confort, tout en y restant et en s’inspirant des gens.

Pourquoi l’Andalousie ?
Federico García Lorca était d’Andalousie, originaire de Grenade. Et Ignacio Sanchez Mejías vivait à Séville. Au début, ça se passe en Andalousie, puis on remonte sur Madrid. Juan vient lui aussi d’Andalousie, de cette communauté gitane dont je voulais parler.

Pourquoi intégrer un personnage fictif, cuisinier, au centre de ce trio réaliste ?
Le plus beau recueil de poèmes de Federico García Lorca s’appelle « Romancero gitan ». En ajoutant un gitan dans le livre je pouvais parler vraiment de son amour pour ce peuple. Et il n’y avait pas mieux qu’un cuisinier particulier pour les suivre partout. Je souhaitais aussi parler des opprimés. Cette communauté en faisait partie et García Lorca prenait sa défense.

Pourquoi mélanger le monde culinaire avec ceux du voyage et de la guerre ?
J’aime parler des plaisirs, le voyage, la poésie, la danse, la nourriture… au milieu des souffrances. J’essaie aussi de décrire le Duende (concept cher à Garcia Lorca, moment de grâce atteint par un artiste de flamenco, ou un torero ndlr) au début du livre. C’est un concept indéfinissable qui se retrouve entre plaisir et souffrance. On n’a jamais réussi à le définir vraiment ni à le traduire. C’est ce que l’on ressent, ça vient des entrailles, un plaisir, une communion, une douleur…

Comment définiriez-vous votre style ?
J’aime bien prendre les lectrices et lecteurs par la main et leur montrer ce que je vois. Beaucoup disent que j’ai une écriture assez cinématographique. Pour autant je ne pense pas être douée pour écrire. Je vais à l’essentiel, en essayant de garder une écriture imagée pour éviter un ennui éventuel du lecteur, et cela plaît beaucoup dans mes livres. Avec celui-ci, j’ai un nouveau public, les hommes, que j’avais moins dans mes autres livres.

Qu’est-ce que cela vous fait de toucher ce nouveau public ?
C’est formidable, je suis pour l’égalité de la femme non pas pour sa suprématie. Je n’ai jamais eu autant de preuves d’amour qu’avec ce livre. Je pense que de nos jours les gens ont besoin de romanesque, et ce livre les fait rêver et voyager. J’y parle aussi beaucoup d’engagement. Aujourd’hui l’engagement est très virtuel, sur les réseaux sociaux, avec des clics. Mais le vrai engagement ce n’est pas ça. Cela me fait réfléchir.

Justement, que cherchez-vous à faire passer au lecteur ?
Je cherche l’ouverture d’un débat. Nous sommes dans une société où il y en a de moins en moins. Chacun s’isole, s’individualise, à cause de ses souffrances. Avec ce livre j’essaie de rassembler les gens et de les amener à un échange en montrant que cette communauté gitane représente tous les peuples. C’est un peuple qui s’est battu, qui s’est sacrifié. Que ce soient des gitans, des homosexuels, des blancs, des noirs, des juifs ou des catholiques, des communistes, des anarchistes, peu importe. C’est un débat intéressant de nos jours. Des adolescents lisent aussi ce livre, c’est formidable de pouvoir échanger entre générations.

Cavalier Blanc

 

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