Thierry Cohen – Restaurer les étoiles : les nuits recomposées de Thierry Cohen.

« Carbon Catchers », jusqu’au 29 mars à la Maison départementale de la Nature du Plan à La Garde

 

Avec « Carbon Catchers », Thierry Cohen présente une exposition où forêts et ciels étoilés se rejoignent pour révéler une nuit que la pollution lumineuse fait disparaître. En recomposant des paysages nocturnes à partir d’astronomies réelles, le photographe interroge notre rapport à la lumière, à la nature et à ce qui s’efface sans bruit..

 

Comment est née cette exposition ?

Le projet s’inscrit dans la continuité de « Villes éteintes ». En travaillant sur la disparition des étoiles, je me suis aperçu que la pollution lumineuse effaçait littéralement le ciel nocturne, créant une absence que nous ne percevons plus. Après avoir arpenté de grandes métropoles, j’ai com pris que le lieu où l’on ressent vraiment la nuit, ce n’est pas la ville, mais la forêt. Deux réalités disparaissent aujourd’hui :les étoiles, invisibles pour une majorité de la population, et les forêts, qui reculent partout. Cette double disparition m’a poussé à imaginer une nuit recomposée, où les ciels réels que je photographie loin de toute lumière retrouvent leur place au-dessus des arbres. Travailler dans le Var, région que je connais bien, a nourri cette réflexion : on y voit coexister urbanisation et espaces préservés, un contraste qui renforce l’urgence de regarder autrement ce qui s’efface.

Comment s’articule votre méthode ?

C’est un travail exigeant. Photographier une forêt plongée dans l’obscurité ne révèle presque rien : même de longues poses n’offrent pas un ciel exploitable. J’associe donc un ciel astronomiquement exact, capté à la même latitude dans un lieu préservé, avec le paysage forestier. L’intégration est délicate : il faut composer avec la densité végétale, les ombres, les masses noires. Cette étape me rapproche de la peinture. Je travaille la lumière comme une matière, afin de créer une nuit crédible mais amplifiée, presque intérieure. Le résultat oscille entre documentaire et fiction : les lieux existent, mais la nuit que je propose n’existe plus dans notre monde saturé de lumière. Installer l’exposition dans la Maison de la nature du Plan, ouverte sur une zone humide intacte, a renforcé cette dimension : l’espace prolongeait les images, comme un retour possible à l’obscurité.

Quel rôle joue la dimension environnementale ?

Elle est centrale. Les forêts sont des puits de carbone essentiels, mais on oublie leur fragilité. En montrant une nuit profonde, je veux rappeler ce que nous perdons, autant sur Terre que dans le ciel. Il ne s’agit pas d’illustrer un discours, mais de raviver un lien sensible. Quand on redécouvre une Voie lactée éclatante, on mesure l’ampleur de ce qui a disparu. L’exposition du Plan de la Garde, dans une zone humide remarquable longtemps menacée, m’a particulièrement touchée : sa préservation donne encore plus de force au dialogue entre forêt et nuit. Cette conscience du territoire, de ce qu’il protège et pourrait perdre, nourrit le projet.

Que dit votre travail de notre rapport à la lumière ?

Nous avons rompu avec la nuit. Certaines communes font des efforts, mais l’usage massif de LED trop puissantes aggrave la situation : on éclaire davantage, au détriment de la biodiversité. J’ai vu des villages retrouver les étoiles grâce à l’extinction nocturne, avant de les reperdre parce qu’on voulait « y voir clair ».
Même au Chili, où les ciels sont parmi les plus purs, les halos gagnent du terrain. « Carbon Catchers » cherche à remettre la nuit au centre : un espace de silence, de respiration et d’imaginaire dont nous avons besoin, et qu’il devient urgent de défendre si l’on veut encore voir ce que le monde peut nous offrir.

Grégory Rapuc.

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