Vincent Franchi – Je prône un retour à la fiction.

THEATRE
« Mon prof est un Troll »,
En résidence à Châteauvallon scène nationale à Ollioules.

Après « Orphelins », Vincent, avec sa Compagnie Souricière, s’attaque à un autre texte de Dennis Kelly, écrit cette fois pour le jeune public. Il a été en résidence pendant trois semaines à Châteauvallon Scène Nationale, et a pu présenter sa pièce aux enfants, malgré les circonstances.

Qu’est-ce que tu aimes chez Dennis Kelly ?
Les dramaturges anglais ont un rapport à l‘écriture et à la fiction assez différent des français. Il a écrit pour des séries également, tout comme Martin Crimp ou Marc-Antoine Cyr. Il y a une vraie porosité entre les deux genres, ce qui donne un théâtre avec un véritable souci de la fiction. Pour ma part, je prône un retour à la fiction. Pour lui, personnages, scénarios, intrigue sont au centre de l’œuvre. Il manie les silences, le suspense, la temporalité, qui entrainent une tension totalement étudiée. J’aime le contenu également : c’est un théâtre éminemment politique, mais qui ne nous dit pas quoi penser. Il place des personnages dans une situation de crise et observe comment chacun réagit. Mais ils ne réagissent pas forcement comme on s’y attend au regard de leur passé ou de leurs origines. Il s’interroge aussi beaucoup sur l’humain, qui pour lui est un mystère. Il fait partie du mouvement « In your face », qui travaille sur un théâtre post-Thatcher, en s’emparant de la crise sociale et économique.

Pourquoi avoir décidé de créer une pièce jeune public ?
Depuis dix ans, je monte des pièces pour adultes. J’avais le sentiment d’une stagnation dans mon parcours, notamment au niveau du public touché, et j’ai eu envie d’en changer radicalement. S’adresser aux enfants est aussi répondre à notre mission de service public. Depuis quelques temps, avec les crises que l’on vit, j’essaie de m’extraire de ma condition d’adulte en me demandant comment ce monde est perçu par les enfants. J’ai grandi dans les années 90 qui me semblaient plus stables et tranquilles, sans terrorisme ou crise sanitaire. Le regard que les enfants portent sur le monde aujourd’hui est constitutif des adultes qu’ils deviendront demain.

Qu’est-ce que représente ce monstre ?
Monstre vient de monstrare : montrer ou se montrer. C’est une figure qui casse les codes, inadaptée à la société. Il fait peur, est repoussant, ne parle pas notre langue… Là c’est un troll, un tyran façon Hitler, qui impose de nouvelles règles : tout enfant qui fera une bêtise sera mangé. Nous observons comment nos deux personnages principaux, Alice et Max, vont lutter contre cette tyrannie. C’est un parcours initiatique, notamment à la politique. Mais il peut aussi représenter une image mentale, une projection des enfants.

Ce récit est une caricature de la dictature ou de l’échec de notre démocratie ?
Les deux mon général. On a à faire à une dictature, mais de conte, avec la même distance, les mêmes conventions. Kelly énonce la critique de nos institutions. D’abord les enfants leur font confiance : ils vont voir leur maman, l’inspecteur des écoles, l’agent de police, et même le Président de la République dans une scène hilarante. Mais ils font chou blanc et doivent s’en sortir par eux-mêmes. La dictature représente l’échec de nos institutions démocratiques.

Vous avez tout de même réussi à jouer la pièce…
A Châteauvallon, nous avons travaillé la version pour la scène et la version pour les écoles. Les dates de représentation publiqueont été reportées, mais nous avons pu jouer devant des professionnels puis à l’école Toussaint-Merle à La Seyne. C’est formidable de pouvoir jouer enfin devant les enfants. L’accueil a été très bon, les enfants ont été très réactifs. Ils étaient très amusés, ont eu beaucoup de cris d’effroi. Ils ont été emportés par la fiction, et attentifs jusqu’au bout. Dans le temps d’échange après, ils ont posé plein de questions. Ils avaient bien compris les enjeux de la pièce. Notre objet fonctionne, et soulève des questions intéressantes à cet âge-là : le pouvoir, la révolte, le vivre ensemble.