Carole Errante – Une plongée troublante dans l’adolescence.
L’aire poids-lourds du 1er au 3 avril à Châteauvallon à Ollioules
Après la création de « L’affaire Harry Crawford », notre scène nationale accueille de nouveau Carole Errante pour « L’Aire Poids-Lourds », autre pièce percutante de l’auteur australien Lachlan Philpott. Inspirée d’un fait divers réel, la pièce explore les méandres de l’adolescence, entre amitié brisée, réseaux sociaux et éveil à la sexualité. Rencontre avec la metteuse en scène.
Pouvez-vous nous parler de l’écriture de Lachlan Philpott ?
Lachlan Philpott est un dramaturge australien très connu dans son pays et ailleurs dans le monde, mais encore méconnu en France. Ses textes ne sont pas publiés, ils circulent sous forme de manuscrits traduits par Gisèle Joly. J’ai été la première à monter une de ses œuvres avec « L’Affaire Harry Crawford ». Il s’inspire souvent de témoignages, d’enquêtes de terrain et de faits divers pour bâtir ses fictions. » L’Aire Poids-Lourd »s est ainsi né d’un fait divers survenu en 2012 à Sydney. Philpott a interviewé les parents, les professeurs et le personnel du collège impliqué, puis a construit une intrigue qui explore les répercussions de l’événement.
Quels thèmes sont abordés dans la pièce ?
C’est un véritable thriller adolescent. L’histoire suit deux jeunes filles dont l’amitié vacille après une dispute. Grâce à un jeu de flashbacks, le public reconstitue petit à petit ce qui s’est réellement passé. La pièce aborde sans jugement des sujets très actuels : l’éveil à la sexualité, l’influence du porno, le racisme ordinaire, les tensions familiales et surtout la pression sociale qui pousse à tout faire pour appartenir à un groupe. Ce qui est fascinant, c’est que tous les adultes sont perçus à travers le regard des adolescentes. Une seule actrice incarne quatorze rôles d’adultes, qui deviennent des figures floues et interchangeables. Ce procédé illustre bien le fossé générationnel : les adultes veulent aider, mais leurs paroles restent vaines, faute d’un véritable lien de confiance.
Qu’en est-il du casting ?
J’ai choisi quatre jeunes comédiennes, dont trois tout juste sorties de l’université d’Aix-en-Provence. Elles ont fondé le collectif Les Créatures, et je suis impressionnée par leur engagement et leur esprit critique. La quatrième actrice, plus expérimentée, joue tous les rôles adultes. À l’origine, ce projet était une simple lecture commandée dans le cadre d’un focus sur les écritures australiennes. Mais face au succès rencontré, j’ai décidé de le monter en spectacle.
La musique et la scénographie jouent-elles un rôle particulier ?
Oui, et de façon très immersive ! Dans le texte, Philpott utilise des images vidéo pour illustrer son propos, mais j’ai préféré transposer cela en son. Jenny Abouav, designer sonore, a créé un univers sonore troublant, avec des bruits d’insectes grouillants, d’autoroutes, qui matérialisent l’angoisse et l’oppression. Sur scène, elle actionne elle-même ces sons à l’aide de boutons placés sur son corps, comme une marionnettiste sonore qui tire les fils des personnages. Petit à petit, ces bruits envahissent l’univers des adolescentes, reflétant leur malaise. Quant à la lumière, elle structure l’espace et marque les changements de lieux, puisque le décor reste fixe mais se métamorphose au fil de l’intrigue. « L’Aire Poids-Lourds » est une pièce crue et frontale. Pendant 1h40, le spectateur est plongé dans la tête de ces adolescentes, sans filtre. Mon but était de restituer cette immersion par tous les moyens possibles : le jeu des actrices, la scénographie, le son… Tout converge pour recréer l’univers complexe et parfois brutal de l’adolescence.
Fabrice Lo Piccolo