CEDRIC LERIBLE – Teste, véhicule poétique
TESTE, le véhicule poétique toulonnais est la revue qui invite au voyage et à la rencontre de plusieurs univers artistiques différents. Distribuée sous un format trimestriel papier, elle accueille à son bord toutes formes de textes, poèmes et autres écrits, bousculant la vision traditionnelle que nous pouvons avoir de la poésie.
Créée en 2010, avec un nom inspiré par Paul Valery, la revue TESTE se veut témoin de son temps. Cédric Lerible, l’actuel dirigeant a accepté de répondre à nos questions, à l’occasion de la sortie du numéro 45, avec comme artiste invité Leos Ator.
Comment choisis-tu des invités pour chaque numéro ?
Alors ce n’est pas « moi » personnellement, on travaille en tant que collectif de poètes et d’auteurs, on reçoit des propositions, on va en chercher aussi.
Le choix peut se faire à travers des rencontres : dans le cadre d’un festival par exemple on entend une ou un auteur sur scène qui pourrait se retrouver sur la revue et partager son univers, donner à lire sa poésie.
L’idée de cette revue est à la fois de montrer une assez grande diversité de textes et de donner envie de lire, pourquoi pas, même, d’écrire à son tour. C’est peut-être ambitieux comme projet, mais on en est très heureux et ça marche plutôt bien.
Quand tu dis que ça marche plutôt bien, comment cela se traduit-il ?
Il y a un public local déjà, présent à la sortie des numéros. Après, un rayonnement se construit dans différentes villes où la poésie est aussi appréciée. La revue est disponible par abonnement, ou à la commande dans toutes les librairies. Au début on sortait une centaine d’exemplaires, quand TESTE n’était encore que TESTAMENT. C’est à partir du n°16 que le nom a changé, et que la revue est devenue plus contemporaine, pour mettre en avant les poètes d’aujourd’hui.
C’est Emmanuel Rastouil (poète de Toulon NDLR), qui était également sur Radio Active, qui a fondé la revue avant de passer la main lorsqu’il est parti vivre à Valparaiso. A l’époque, il mettait ses deniers personnels, par moment, pour financer les numéros. Aujourd’hui ce n’est plus le cas, il y a un modèle économique et nous avons le soutien de la ville de Toulon, et depuis un an bientôt celui de la région. La revue se vend, nous tirons trois-cents exemplaires par numéro, c’est déjà bien. Les abonnés sont « l’essence du moteur de notre véhicule poétique. ». C’est extrêmement précieux, c’est une confiance qui nous est accordée et en contrepartie nous leur offrons les frais d’envoi.
Dans ce numéro 45, vous avez invité Leos Ator, qui est photographe, pourquoi le choix de l’inviter dans une revue de poésie ?
Il n’est pas uniquement photographe. Dans le sommaire, nous avions indiqué « Photographe invité », et il a préféré écrire artiste. Il a une pratique plurielle avec égalemnt une pratique de musicien, de graphiste, d’éditeur, il fait de la sérigraphie… Mais son travail reste plutôt visuel. Si l’on s’écarte de la définition classique de la poésie, l’objectif de la revue est de montrer que, depuis le XX° siècle, il y a une grande liberté dans les approches de ce que peut être ce genre littéraire. Et c’est ce que l’on cherche à faire, à chaque numéro, que lorsqu’un lecteur ouvre le magazine il puisse se dire « ah oui, ça aussi c’est de la poésie, ah mais on peut écrire aussi comme ça… ». L’objectif est d’avoir réellement une surprise à la lecture, lorsque l’on découvre chaque numéro. Nous avons une dimension « anthologique », avec beaucoup de guillemets, qui montre des écritures, des approches et des univers très différents. Chaque numéro est une page blanche, à chaque fois, on fait un saut dans le vide, comme tout écrivain et artiste. On navigue, on réfléchit à l’orientation artistique que le numéro va prendre. Ce saut dans le vide c’est aussi une capacité à se remettre sans arrêt en question, et à se redire, à chaque fois : « Qu’est-ce que c’est la poésie aujourd’hui et qu’est-ce qu’on peut en partager ? ».
Sous quelles formes originales avez-vous abordé ces univers uniques ?
On ne se pose pas forcément la question de « comment » mettre en forme. Soit on fait un appel à textes, pour travailler sur une forme bien définie, soit, et c’est plus intéressant, on se dit « ce qui nous plaît c’est ce que vous êtes en train de faire en ce moment, et si vous avez envie de le partager, on peut le TESTEr. ». Ca créé une autre relation avec l’artiste. Nous n’avons pas de thématique mais quand nous avons beaucoup de propositions d’auteurs et d’artistes qui se rejoignent on crée un numéro spécial. Par exemple, pour le numéro 28, on avait rencontré beaucoup de poètes et d’auteurs internationaux et on s’est dit : « On va faire un numéro tourné vers l’international, publié en langue originale et traduit en français ». Parfois on a des numéros qui tournent autour d’un artiste, comme celui sur Jérémy Liron qui a étudié à l’école des Beaux-Arts de Toulon. On veille à ce qu’il y ait des connexions avec la ville. Quel est l’intérêt d’avoir une revue à Toulon si on publie des auteurs des quatre coins de l’Hexagone, sans forcément de lien avec le territoire ? Là, pour le numéro 45, on avait reçu pas mal de propositions de poésies visuelles.
Par essence, la poésie est un endroit de tolérance. Nous aimons créer des rencontres et échanges potentiels entre poètes et artistes qui ne se seraient peut-être pas forcément rencontrés autrement. Les auteurs que l’on a la chance de publier nous font confiance.
Il y a des évènements TESTE, à chaque sortie de numéro, ce sont aussi des rencontres, des connexions physiques avec les gens ?
Nous avons un partenariat avec la librairie « Le Carré des Mots », depuis le début, elle nous accueille à chaque sortie. Pour l’anecdote, au départ la libraire ouvrait les dimanches, puis elle a arrêté. Maintenant, elle ouvre spécialement pour ces rencontres de la revue avec le public. Quand on est passionné… on est toujours là.
Exceptionnellement, nous avons fait la présentation du numéro 45 pendant l’événement « Sous La Table Ronde », salon de la micro-édition au Port des Créateurs. Pour le numéro d’été 2021, nous l’avions fait en partenariat avec « Le Volatil» à Toulon : on avait monté une scène devant « Le Carré des Mots », c’était une superbe rencontre. On a fait aussi une présentation au CIPM de Marseille (Centre International de Poésie de Marseille, NDLR) à la Vieille Charité.
Comment s’attaquer à de la poésie quand on n’en lit pas ?
Le verbe lire est assez réducteur. Quand on pense à lire, on pense à lire un roman. Alors que la poésie on ne la lit pas, on la picore, on la butine, on y va à l’envie je dirais. Déjà il faut avoir un certain état d’esprit, accepter de se laisser surprendre, de se faire déstabiliser par des formes qui peuvent êtres hermétiques au premier abord.
TESTE s’inscrit dans une idée de laboratoire. La poésie c’est une expérimentation qui nous invite à nous laisser aller et surprendre. La poésie, il faut en faire l’expérience, en se disant que ça peut être difficile au départ, mais qu’elle peut beaucoup nous apporter.
Lila Ayoldi