Charles Berling – Norén, un théâtre réaliste et profondément humain.

« C’est si simple l’amour », du 5 au 21 mars au Liberté à Toulon

Après Ingmar Bergman, le directeur de Châteauvallon-Liberté, scène nationale continue d’adapter les auteurs suédois en mettant en scène deux pièces de Lars Norén. Comédien et metteur en scène, il nous parle de son amour pour l’auteur suédois, de ses choix artistiques et de sa vision du théâtre aujourd’hui.

Charles, qu’est-ce qui vous attire dans le théâtre de Lars Norén ?

Lars Norén a un regard extrêmement affûté, précis, mais aussi plein d’amour pour l’espèce humaine. Il ne tombe pas dans la complaisance, il ose regarder la réalité dans tout ce qu’elle a de magnifique et de médiocre. Son théâtre fait du bien car il dit les choses sans ménagement, avec une force, une tendresse et un humour saisissants. Il atteint un sommet du tragi-comique en maniant avec brio chaque aspect, la tragédie et la comédie, ce qui est particulièrement jubilatoire, surtout en ces temps de déni et de faux-semblants.

Vous avez travaillé sur Bergman, y voyez-vous une continuité ?

Oui, Norén et Bergman sont tous deux suédois et partagent une profondeur d’analyse sur l’être humain. Ce sont des génies absolus. Après trois ans passés à travailler sur l’œuvre de Bergman, j’aborde pour la première fois Norén à la fois comme comédien et metteur en scène. Depuis le début des répétitions, je suis subjugué par son génie.

Pourquoi avoir choisi d’adapter deux pièces ?

Je voulais monter du Norén parce que je pense que le théâtre doit raconter la réalité avec justesse. Il parle de la bourgeoisie occidentale, dont je fais partie d’ailleurs, d’une manière particulièrement pertinente. « Lost and Found », qui sortira l’année prochaine, aborde également le couple mais avec des enfants. L’idée était de parler à la fois de ma génération et de celle de nos enfants, en adoptant le regard acéré de Norén.

Quels sont les thèmes abordés dans « C’est si simple l’amour » ?

Le couple, les relations hommes-femmes, ce terreau affectif dans lequel nous nous débattons tous. Il questionne aussi le rapport entre la fiction et la réalité, notamment à une époque où les espaces virtuels prennent une place considérable dans nos vies. Dans « Lost and Found », Norén explore la fracture entre parents et enfants : un couple bourgeois de gauche voit son fils de seize ans adhérer aux idées d’extrême droite tandis que leur fille sombre dans la drogue. Il parle d’une jeunesse désorientée et des défis que cela pose à leurs parents. Mais toujours avec une immense tendresse et un humour profond.

Quels choix de mise en scène avez-vous faits ?

J’aime travailler avec des acteurs et actrices fidèles, avec qui je partage une vision du jeu. Pour ces deux créations, je suis accompagné d’Alain Fromager, de Caroline Proust et de Bérengère Warluzel. Ce qui m’intéresse, c’est cette frontière entre l’acteur et son rôle : qui parle, le comédien ou le personnage ? J’aime mettre en scène cette ambiguïté, jouer avec la représentation elle-même. Je ne recherche pas un naturalisme pur, je suis Norén dans ses vertiges et j’intègre le public à la scène, comme s’il était dans le salon des personnages. Cela crée une proximité forte avec la fiction tout en assumant pleinement qu’il s’agit d’une représentation.

Quelle est votre vision du soutien à la création à Châteauvallon-Liberté ?

Aujourd’hui, face au déferlement de haine raciste et de barbarie, il est crucial de défendre la démocratie, et donc la culture et la création. Nous faisons un travail fondamental qui tente de retisser des liens entre des individus qui ne se parlent plus. Loin des communautarismes que renforcent les outils numériques, nous offrons un espace où le doute et la critique sont possibles. Nous traversons une période tourmentée et charnière : ne cédons ni au mercantilisme ni à la haine. Il faut préserver les valeurs qui fondent nos sociétés, et je remercie les politiques qui soutiennent cette nécessité.

Fabrice Lo Piccolo

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