David Herman – Une exposition pour réinventer le sacré.
>>« The Earthly Paradise – Aux sources du monde d’après » jusqu’au 10 août
David Herman s’appuie sur son expérience transversale des univers de la mode, des arts décoratifs, et puis de la musique et du cinéma. Directeur créatif & curateur d’expériences narratives « totales », il propose une exposition immersive et vivante au metaxu durant tout l’été.
Quel est le point de départ de votre recherche sur le paradis terrestre?
Tout est parti d’un poème épique de William Morris, plus connu pour sa vision pionnière des arts décoratifs avec le mouvement Arts & Crafts. Dans ce récit, il invite le lecteur à un voyage initiatique aux confins des mythologies grecques et légendes nordiques. Dans le contexte du XIXe siècle surindustrialisé, le recours nostalgique à ces imaginaires anciens constituait le moyen de se relier à « l’Idéal arcadien des origines », le « Paradis Perdu » au sein duquel l’homme vivait en harmonie avec la Nature, sa beauté, ses rythmes. La pénurie croissante d’une ressource aussi vitale que l’eau ravive le rapport « sacré » aux éléments naturels et à toute la symbolique cosmogonique qui y est liée : l’eau incarne tout autant l’idée de source de vie que du déluge chaotique précédant un monde « nouveau ».
Le récit est exclusivement composé de sorcières, déesses, néréides. Comment l’exposition conjugue les notions de sacré et de féminin ?
Sous l’ère païenne, les croyances étaient polythéistes et panthéistes. N’importe quel aspect de la vie était associé à un dieu ou une déesse. Il y avait une conscience de l’impact de nos actes par rapport à un « tout » considéré comme « universel ». Je me suis replongé dans les écrits de Mircea Eliade décrivant la manière selon laquelle ce lien a été rompu depuis le développement du monothéisme (qui sépara les espaces « sacrés » et « profanes »), puis de la science et du monde moderne. The Earthly Paradise repose la question de ce rapport « sacré », une relation plus profonde à ce qui nous entoure et préserve notre existence. J’ai volontairement travaillé avec trois femmes artistes pour la symbolique féminine de cette exposition. Les ambiances minérales-brutes des sculptures d’Audrey Guimard, archaïques, poétiques et sensuelles des collages muraux de Lia Rochas-Pàris et puis le côté plus mystique de Clara de Gobert font corps avec cette narration reliant l’ancien à aujourd’hui.
Mettant en scène une chambre d’hôtel, vous positionnez cette exposition entre art et arts décoratifs. Qu’est ce qui divise ces domaines et les lient ici ?
Sous Louis XIV, les académies royales ont séparé les arts majeurs des arts appliqués. On a séparé le beau de l’utile, l’art de la vie. Au cours de notre siècle, il y a un effondrement de ces frontières, une recherche d’authenticité qui s’exprime notamment dans le recours à l’artisanat. Mais cela ne suffit pas. Dans notre époque désorientée, il devient crucial de proposer des expériences génératrices de sens. En m’appuyant sur la démarche « vivante » du metaxu dans sa capacité à concilier l’art et le son, j’ai pu pleinement développer une expérience sensorielle « totale » à la manière d’un « opéra ». C’est le cas du Lit-Temple, l’installation sonore monumentale de Clara de Gobert, avec les compositions du musicien Benoît Bottex, sur laquelle le public peut venir s’allonger et ressentir métaphoriquement les vibrations telluriques d’un volcan en éveil. L’ambition d’une telle narration appliquée à un intérieur participe d’une approche se voulant aussi transformatrice culturellement que vivre l’expérience d’un film, d’un livre ou d’une œuvre théâtrale.
Maureen Gontier