Estelle MEyer – L’héritage de Gisèle Halimi.

« Niquer la fatalité » au Liberté à Toulon le 25 mai.

Dans son seul-en-scène, Estelle Meyer rend hommage à Gisèle Halimi à travers un récit poignant, où se mêlent théâtre, poésie et musique. Accompagnée de deux musiciens talentueux, elle tisse un dialogue intime, explorant la lutte contre les violences, les silences et les injonctions. Audacieux et lumineux, ce spectacle invite à la réappropriation de soi et à la réécriture du destin.

Vous présentez à Toulon « Niquer la fatalité », un spectacle que vous avez conçu, écrit et que vous interprétez. Comment est-il né et que raconte-t-il ?
C’est un seul-en-scène que j’ai conçu, écrit et interprété, accompagné de deux musiciens exceptionnels : Pierre Demange et Grégoire Letouvet. Théâtre, poésie et musique s’y entremêlent autour d’un dialogue rêvé avec Gisèle Halimi. Il est issu d’un coup de foudre après avoir lu « Une farouche liberté », suite à sa disparition. Bien qu’elle soit née en 1927, ses idées me semblaient plus modernes que les miennes. Ce spectacle est un pacte d’amour, d’admiration et de nécessité. Il tisse nos deux histoires pour ouvrir un espace de réparation, de force et de lumière.

Le titre est fort, presque provocateur. Pourquoi ce choix ?
Parce qu’il fallait de la bravoure. Le spectacle parle de choses dures : violences, injonctions familiales, silences. Quand Gisèle Halimi naît, son père met trois semaines à l’annoncer, dévasté d’avoir une fille. Moi-même, ma grand-mère a demandé à ma mère si elle n’était pas déçue que ce soit une fille… Il fallait un titre qui inspire courage et audace. Et j’aime son double sens. En grec, Nikê signifie la victoire, la déesse qui tient la palme d’Athéna. Cela représente une énergie divine à laquelle je me relie dans mon travail.

Votre travail mêle théâtre, poésie, musique… Comment décririez-vous votre démarche artistique, ou votre place sur scène ?
Je n’aime pas me définir, mais si je devais, je dirais que je suis une « passeuse ». Mon objectif est de faire circuler l’émotion, les récits et la mémoire. Chanter, pour moi, c’est une manière de consoler, de toucher au sacré quand les mots ne suffisent plus. Sur scène, l’alliance avec les deux musiciens est essentielle : elle permet d’élever le débat, de réparer. Et à la fin, il y a un rituel de lumière, de vibration, presque cosmique. J’aime être à la fois râpeuse et délicate, les pieds dans la terre, les mains dans les étoiles.

Vous avez parlé d’un « rythme cardiaque commun » avec Gisèle Halimi. Quel lien vous unit à elle ?
Quand j’ai lu « Une farouche liberté », j’ai eu l’impression que chaque mot m’était adressé. Comme si une grande sœur d’âme me prenait la main à travers le temps. Elle a inversé son destin, choisi sa vie, son combat. Elle a tout fait avancer : les droits des femmes, la dépénalisation de l’avortement, la reconnaissance du viol comme crime. Sa phrase, « Ne nous résignons jamais », m’accompagne chaque jour. Avec « Niquer la fatalité », je transmets son message, bien sûr. Mais je lui en adresse un aussi : « C’est bon Gisèle, tu peux te reposer. On prend le relais. »

Qu’aimeriez-vous provoquer chez le spectateur, et que représente pour vous ce retour à Châteauvallon-Liberté ?
Je souhaite que le spectacle réveille, interroge, sans être moralisateur ou victimisant. J’ai envie que chacun, chacune, trouve sa place. Qu’on sente qu’il n’y a pas de destin figé, qu’on peut casser les carcans. Revenir ici, à Châteauvallon-Liberté, est fort. Ce lieu a été un berceau, c’est là qu’on a fait la première sortie de résidence musicale, en salle Fanny Ardant. Deux ans plus tard, le spectacle est nommé aux Molières. Et ça, ça me dépasse.

Julie Louis Delage