Léonore Confino – Le langage, c’est la liberté.

>> « Le Village des Sourds », du 15 au 18 janvier au Liberté à Toulon Festival Équinoxe, du 5 au 11 avril au Pradet

Léonore Confino est une autrice contemporaine majeure dont les pièces ont reçu de nombreux prix. Au Liberté, elle présentera « Le Village des Sourds », une pièce à la fois poétique et politique. Dans cette fable contemporaine, elle interroge la place des mots, leur rôle fondamental dans nos vies, et les dangers d’une société axée sur la consommation. Elle sera également marraine du Festival Équinoxe cette année. Rencontre avec une autrice passionnée par la langue et le pouvoir du théâtre.

Vos pièces naissent souvent d’expériences personnelles, comme dans « Building » ou « Ring ». Pour « Le Village des Sourds », cela vient d’une période où vous perdiez vos mots. Pouvez-vous nous en parler ?
À l’époque, une de mes filles ne dormait pas la nuit. À la suite de ces insomnies répétées, j’ai commencé à perdre mes mots : ils disparaissaient, par grappes entières. Je me retrouvais enfermée dans le quotidien, je n’arrivais à dresser que des listes de courses, à n’utiliser que des mots fonctionnels. Mais c’est mon métier, je devais continuer à écrire. Cette peur de perdre la langue m’a poussée à acheter un carnet dans lequel je notais des mots, parfois inutiles, mais magnifiques comme palimpseste, cucurbitacée ou olibrius. Ils me faisaient du bien. Ce carnet s’est étoffé, et je me suis juré d’en faire une pièce : une exploration de la perte du langage et de ses conséquences.

Quel est votre rapport à la nécessité du langage et à votre amour des mots ?
Les mots sont bien plus qu’un outil de communication. Ils sont liés à des souvenirs, des émotions, des instants. Quand je demande à des enfants, en classe, de fermer les yeux et de me dire ce qu’ils voient quand je dis « neige », chacun imagine une neige différente : une piste de luge, une tempête de neige… Mais les mots ont aussi une dimension politique : quand on nous prive de langage, on devient vulnérable face à la manipulation et au pouvoir. Il devient impossible de distinguer le vrai du faux ou de se révolter. Si on ne discute plus, on s’enferme, et il ne nous reste plus qu’une envie : consommer. Le langage, c’est la liberté.

Dans cette pièce, vous critiquez aussi la société de consommation.
La pièce raconte l’histoire d’un village polaire imaginaire où les habitants possèdent des milliers de mots et vivent en autarcie. Un marchand arrive et leur propose un catalogue – comme IKEA ou La Redoute – mais, au lieu de vendre contre de l’argent, il échange les biens contre des mots. Comme il fait très froid dans cette région, les villageois vont commencer à acheter des chaudières, puis des pavillons, et à s’isoler les uns des autres… Peu à peu, ils deviennent dépendants du marchand et lui donnent tous leurs mots. Cela évoque notre spirale de consommation : nous travaillons de plus en plus pour pouvoir consommer, s’habiller, partir en vacances. Mais nous avons de moins en moins de temps pour la culture, pour être ensemble… « Le Village des Sourds » parle aussi de révolte. La narratrice est une adolescente sourde et muette, qui ne peut pas donc pas céder ses mots. Elle conserve la langue des signes qui devient une langue de résistance. Je raconte comment un handicap peut sauver tout un village.

Comment avez-vous choisi votre casting ?
Je rêvais de travailler avec Jérôme Kircher, un acteur que j’admire depuis longtemps. Humainement, je savais qu’il était capable de relever le défi de collaborer avec Ariana-Suelen Rivoire, une comédienne sourde, ce qui demande une écoute et un travail particuliers. Ariana-Suelen nous a bouleversées dès son audition : elle a récité un poème en langue des signes avec une intensité incroyable. Elle a beaucoup travaillé pour apprendre un texte complexe en langue des signes. Vous travaillez étroitement avec Catherine Schaub, qui met vos pièces en scène.

Comment s’est déroulée cette collaboration-ci ?
Catherine et moi en sommes à notre neuvième pièce ensemble. Elle adore les défis, et celui-ci, avec le mélange de langue des signes et de langue orale, était particulièrement stimulant. La mise en scène est visuellement marquante : une grande surface blanche recouverte de neige, avec un petit igloo où les personnages se réfugient. Catherine sait traduire sur scène des idées improbables, et cela m’encourage à écrire avec audace. Nous échangeons beaucoup sur le sens avant les répétitions, puis je me rends peu sur le plateau, environ une fois par semaine, pour lui laisser sa liberté.

Vous serez marraine de l’édition 2025 du festival Équinoxe. Pourquoi avez-vous accepté ce rôle ?
Sarah Lamour a monté plusieurs de mes pièces avec le Collectif l’Étreinte et avec ses élèves. J’aime son audace et son engagement pour des formes poétiques et contemporaines. Quand j’ai vu sa mise en scène du « Poisson Belge », j’ai pleuré… Je suis également proche d’Hélène Mégy et de l’équipe du PÔLE. Le travail d’Hélène ou de Sarah, dans les lycées par exemple, montre que le théâtre peut parler de notre société actuelle. Je suis fière d’être la marraine de cette édition du festival, qui est multiformes et inclusif. Lors de celui-ci, je vais participer à une rencontre avec le public, le 11 décembre, pour encourager les gens à écrire librement, même en secret, que ce soit une lettre d’amour ou une simple pensée.

Fabrice Lo Piccolo

Retrouvez l’extrait du spectacle

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