Michèle Destarac, j’organise le chaos
Michèle Destarac est une peintre abstraite, active depuis les années 1960. Elle a su s’imposer dans dans l’art contemporain par des œuvres significatives, spontanées et brutales. Aujourd’hui, ses peintures sont conservées dans des collections publiques. A l’occasion de sa participation à Three Free, à la galerie du Canon, elle nous parle de sa carrière et de sa technique.
Comment êtes-vous parvenue à vous hisser sur la scène abstraite des années 1960-1970 auprès d’artistes reconnus?
N’ayant pas fait l’école des Beaux-Arts, je peignais de mon côté et j’allais dans toutes les galeries pour connaître les dernières œuvres. J’avais décidé de me présenter à la Biennale internationale de Paris en 1965 en pensant ne pas être retenue. J’ai été prise et ça m’a encouragé à proposer mon travail à plusieurs galeries parisiennes. Parmi elles, il y avait la galerie Ariel de Jean Pollak. Au départ, il m’a dit qu’il ne prenait pas de jeunes artistes mais il a quand même gardé quelques aquarelles pour les montrer aux peintres qu’il exposait, notamment Karel Appel, Jacques Doucet et Olivier Debré. Il s’est avéré que ça leur a plu et que je suis rentré sous contrat là-bas, pendant une trentaine d’années ! Je ne me rendais pas compte de la chance que j’avais !
Comment c’était de travailler en tant que femme artiste à cette période, dans un milieu artistique majoritairement masculin ?
C’est vrai qu’il y avait vraiment très peu de femmes dans le milieu ! J’étais d’ailleurs la seule femme exposée dans la galerie. Pour ma part, j’ai été bien reçue chez Ariel et je n’ai jamais senti de mépris ou quoi que ce soit. Je n’ai pas à me plaindre ! C’est peut-être dû au fait que les artistes avaient déjà une carrière bien lancée et qu’il n’y avait pas de compétition entre nous. Je sais que j’ai eu de la chance, je suis probablement une exception. Malgré tout, ça arrivait que quand on allait à la FIAC, les gens pensaient que mon travail était réalisé par un homme parce que ma peinture est assez directe et brutale. Ils ne s’attendaient pas à ce qu’une femme soit capable de faire ce type de peinture…
Comment a évolué votre recherche artistique jusqu’à aujourd’hui ?
C’est une évolution dans la continuité. Il y a des artistes qui ont des périodes très marquées. Ce n’est pas mon cas. Je me laisse guider au moment de peindre. C’est assez chaotique ce que je produis et je ne contrôle pas assez mes créations au point de pouvoir les décliner en différentes séries de la même veine.
Vous n’avez donc aucune idée de ce que vous allez faire quand vous commencez une toile ?
Je ne réfléchis pas du tout avant de me lancer ! Au contraire, je fais le vide dans ma tête. Il m’arrive parfois de penser à une couleur que je devrais utiliser pour changer mais je n’arrive pas à m’y tenir. Je commence souvent plusieurs toiles à la fois et puis… ça passe ou ça casse !
Je me lance sans réfléchir mais je cherche toujours à m’arranger pour qu’il y ait une composition, un équilibre final. J’organise le chaos ! Il faut pourtant que l’ensemble paraisse spontané et je ne m’attarde pas trop sur les toiles. J’y reviens en plusieurs jours mais jamais très longtemps à chaque fois, pour ne pas alourdir. Je veux aussi laisser de l’espace, la réserve est très importante pour moi.
Fuyez-vous toujours la représentation figurative ou bien est-ce qu’il vous arrive de vous rapprocher de formes reconnaissables ?
La figuration ne m’a jamais tentée ! Ce n’est pas pour moi. Il m’est arrivé une seule fois, sans faire exprès, de créer une forme qui ressemblait vaguement à un palmier. Ce n’était pas du tout volontaire ! Maya Trufaut