Pascal Rambert – Être disponible et regarder.

En Janvier et en Mars à Châteauvallon-Liberté scène nationale

En ce début d’année, Châteauvallon-Liberté scène nationale met à l’honneur Pascal Rambert, auteur majeur de notre théâtre contemporain, et ses acteurs, avec trois spectacles, des rencontres et des masterclass.

Dans les trois pièces présentées au Liberté, vous parlez d’amour, de rupture, de mort, est-ce que ce sont ces états extrêmes de la condition humaine qui vous intéressent ?
Je fais des pièces sur les moments saillants de nos vies, les moments heureux ou poignants… Nous avons tous des souvenirs de décès de nos proches, mais nous vivons aussi des moments d’exaltation et de bonheur, quand on tombe amoureux par exemple. Ces moments-là représentent pour moi ce qu’il y a de plus vrai dans l’être humain. Nous proposons « Clôture de l’amour », un succès mondial, j’en ai moi-même réalisé une quinzaine de versions dans des langues différentes, à Tokyo, à Berlin, à Moscou… Les personnages se sont aimés et décident de se quitter et ça passe par un affrontement titanesque. Audrey Bonnet et Stanislas Nordey sont parmi les plus grands acteurs de théâtre et ont beaucoup contribué au succès de cette pièce. « Deux amis » est l’histoire d’un couple homosexuel, mais ce n’est pas le sujet, je ne fais pas de pièces à sujet. Le sujet principal de mon théâtre est la langue. On y voit des gens qui parlent, passent d’un état à l’autre, sont pris dans des sentiments qui les dépassent, je m’intéresse au cœur des êtres humains. L’arrivée du téléphone portable fut pour moi une grâce, j’ai pu entendre dans la rue des conversations qui étaient privées auparavant. Un jour, j’ai vu un couple à une terrasse de café, la femme s’est emparée du téléphone de son conjoint, a lu un message, lui a jeté le téléphone au visage et ils se sont disputés. « Deux amis » est parti de là. Mon travail est de mettre des mots sur ces scènes lointaines. « Mon absente » est une nouvelle pièce qui sera créée au Liberté en mars. On est au moment où une personne est décédée et on va la voir dans la chambre mortuaire. Parfois on lui parle, on lui dit qu’on l’a aimée. Mais ça peut aussi être un moment de grande tension dans les familles.

Vous écrivez vos textes pour les acteurs, et même pour le corps des acteurs, comment est-ce que ça se manifeste ?
J’ai toujours écrit pour des gens précis. Je suis né à Nice, j’ai commencé à faire du théâtre à seize ans, j’écrivais alors pour mes amis de classe. Quand j’ai commencé, j’écrivais pour des acteurs rencontrés à Nice, puis à Paris, aux Etats Unis et dans le monde entier. Je n’écris pas de la même façon pour des acteurs japonais, mexicains, égyptiens ou chinois. La culture est gravée dans le corps. Dans deux heures, je vais partir répéter avec Jacques Weber une pièce que j’ai écrite pour lui. Ecrire pour Weber, c’est écrire pour son talent immense et pour son corps. Je suis également en train d’écrire une pièce pour la troupe entière du Théâtre National Romain, vingt-sept acteurs. J’ai demandé à chacun de me raconter sa vie depuis sa naissance. On me demande souvent comment je fais pour écrire autant de pièces dans le monde entier, il suffit d’être disponible et de regarder.

Parlez-nous de vos acteurs Nordey, Bonnet, Berling ?
Je travaille depuis très longtemps avec Stanislas et Audrey. Ce que j’aime c’est être avec les acteurs, répéter, puis rentrer écrire. On s’aime profondément tous. Je connais Charles depuis plus de trente ans. On est tous amis dans le moment de l’art que l’on exerce puis chacun retourne à sa vie privée. Audrey est un peu comme ma sœur, nous travaillons ensemble depuis vingt ans et c’est une des plus grandes actrices, elle défend la langue comme personne. Stanislas également, c’est un acteur grandiose. Ce que j’aime en Charles, c’est que c’est un joueur, et j’adore ça aussi. J’adore me mettre devant mon ordinateur et inventer, c’est très ludique. Sur « Deux Amis » sans rien changer au texte, Charles est capable de réinventer son rôle chaque soir. Il a cette invention qui me ravit.

Comment vont se passer les Masterclass avec Audrey Bonnet, vous et Charles Berling ?
Ce sont des moments très ouverts. J’adore les rencontres. Plutôt que de parler de moi, je veux savoir qui sont les gens, ce qu’ils aiment. Je vais faire ça avec des jeunes gens. Je travaille avec beaucoup de jeunes acteurs, au Théâtre National de Strasbourg ou de Bretagne, à Princeton ou en Suisse. Dans notre travail, la relation à ceux qui viennent après nous est très importante. La société a beaucoup changé en trois ans. Aux Etats-Unis également. Je vois une évolution, notamment sur les questions de genre. Et c’est au cœur de nos métiers, puisque l’on traite de la représentation. L’art est un vecteur extraordinaire pour faire passer de la beauté mais aussi des idées. Ce n’est qu’une manière de montrer le monde qui évolue. Et je suis très heureux d’écouter les personnes qui ont vingt ans aujourd’hui.

Fabrice Lo Piccolo

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