PHILIPPE CHARLIER – Les chemins de l’éternité

Momies – HDE VAR Draguignan – Jusqu’au 25 septembre

De tout temps, les momies fascinent autant qu’elles effraient… L’Hôtel Départemental des Expositions du Var à Draguignan nous propose une superbe exposition « Momies, les chemins de l’éternité », qui, outre la présentation de nombreuses momies et pièces inédites, vous permettra, grâce aux technologies nouvelles, d’être au plus près des avancées scientifiques en la matière. Rencontre avec le commissaire de l’exposition.

Pouvez-vous vous présenter et expliquer votre parcours ?

Je suis médecin légiste, archéologue et anthropologue. À quarante-quatre ans, je dirige le département de la recherche et de l’enseignement au musée du quai Branly – Jacques Chirac (Paris). Après avoir pratiqué des autopsies pour la justice pendant dix ans ans, puis été médecin-chef en maison d’arrêt, tout en poursuivant des missions anthropologiques et des fouilles archéologiques, je suis entré en détachement dans un musée en 2018.

Est-ce ce parcours qui vous a incité à vous lancer dans l’aventure du commissariat de l’exposition Momies, les chemins de l’éternité ?

L’étude des momies est à la convergence de plusieurs spécialités scientifiques alliant disciplines fondamentales et humanistes : médecine, histoire, archéologie, anthropologie, etc. Il est nécessaire, pour parler des momies, d’en cerner les différents aspects, tant religieux qu’ethnologiques et biologiques. C’est en l’occurrence un sujet sur lequel je travaille depuis plus d’une vingtaine d’années, et sur lequel j’avais envie de proposer une synthèse, alors pourquoi pas sous la forme d’une exposition et d’un catalogue original ?

Comment avez-vous construit l’exposition ?

Les momies ne se cantonnent pas qu’à l’Égypte, même si c’est peut-être la première région à laquelle on pense quand on évoque la momification. En réalité, le phénomène de la conservation volontaire des corps morts est universel et occupe tous les continents et d’innombrables cultures. Dans cette exposition, on verra tour à tour les dernières avancées des connaissances autour des momies égyptiennes, mais on découvrira aussi les momies d’Asie, d’Afrique, d’Amérique, d’Océanie et d’Europe. On verra l’usage qui était fait des momies dans la vie quotidienne (comme médicaments, comme pigments dans des peintures, comme matériaux dans des sculptures), mais aussi que beaucoup de rois de France étaient momifiés. On s’intéressera enfin à la diffusion de l’imaginaire des momies dans la littérature, le cinéma et la pop culture…

Elle est annoncée inédite. En quoi, le sera-t-elle ?

Beaucoup de pièces montrées dans l’exposition ne l’ont jamais été au grand public. C’est l’occasion, ainsi, de voir pour la première fois le reliquaire du cœur de Richard Coeur de Lion et celui de Louis XIV, des momies pharaoniques de crocodile ou de serpent, un guéridon du XIXe s. réalisé avec des fragments de momies, des dessins et des manuscrits inédits. Une salle sera spécialement dédiée à la réalité augmentée : les visiteurs seront invités à mettre un casque léger permettant de voyager en 3D à l’intérieur d’un paquet funéraire et de débandeletter une momie sud-américaine : une autopsie virtuelle.

Pouvez-vous nous parler des pièces les plus remarquables exposées ?

Peut-être une peinture du XIXe s. dont l’étude scientifique a montré qu’elle avait été réalisée avec le cœur momifié de Louis XIV, ou encore les tentatives de reconstruction de la voix d’Henri IV à partir de son larynx reconstitué d’après sa tête embaumée, ou encore l’incroyable momie péruvienne (fardo) du musée du quai Branly – Jacques Chirac dont l’analyse radiologique a permis de percer les secrets… jusqu’à reconstituer le visage du défunt de façon très réaliste !

Quel est votre coup de coeur dans cette exposition ?

J’avoue un intérêt très particulier pour les têtes réduites Jivaro (plusieurs sont présentées dans l’exposition) dont la fabrication est maintenant mieux connue, depuis notre utilisation des techniques issues de la médecine légale pour en percer les secrets. Et puis il y a un pied momifié, celui de l’Homme de Tollund (Danemark, IVe s. av. J.-C.) sur lequel j’ai travaillé il y a plusieurs années : il est présenté pour la première fois dans une exposition en France, et provient d’une des momies les mieux conservées au monde, découverte dans une tourbière dans les années 1950 ; son état de préservation est exceptionnel. De tout temps, les momies fascinent autant qu’elles effraient.

 

Quel rôle jouent-elles / ont-elle joué dans l’imaginaire collectif ?

Momifier c’est lutter contre le temps, c’est préserver un corps qui, spontanément, se décomposerait. C’est donc un chemin vers l’éternité, même si l’éternité n’est « que temporaire »… Elle revêt donc un but métaphysique, mais les procédés varient considérablement d’un lieu ou d’une époque à l’autre. L’ouverture du corps et le retrait des organes n’est pas ainsi systématique. L’ajout de substances extérieures (aromates, goudron, sel, etc.) non plus. Dans l’exposition, on fera un véritable tour du monde des pratiques, et l’on verra comment les populations mettent à profit leur environnement pour conserver les restes de leurs défunts avec plus ou moins de succès. Pas de voyeurisme, cependant, dans cette exposition, mais la volonté de montrer ce qu’est la momification en remettant à chaque fois ces restes dans leur contexte. Rien d’effrayant non plus : c’est un savant mélange de savoir et de découverte.

Interview réalisée par le Département du Var – hdevar.fr