Philippe Chuyen – On devrait toujours écrire un pistolet sur la tempe…

>> Le Prix d’un Goncourt le 9 février au Telegraphe à Toulon

Philippe Chuyen a choisi cette citation extraite du livre de Jean Carrière « Le Prix d’un Goncourt » comme sous-titre de sa pièce de théâtre adaptée de cette œuvre. Le metteur en scène et acteur toulonnais nous décrit ce qui l’a fasciné dans la vie de ce lauréat du prix Goncourt qui a vécu une descente aux enfers après l’obtention de celui-ci pour « L’épervier de Maheux » en 1972.

Qu’est-ce qui t’intéressait dans le parcours de Jean Carrière, et dans ce texte en particulier ?
J’ai découvert Jean Carrière, un écrivain nîmois, en m’intéressant à Jean Giono, en 2004, alors que je travaillais sur un spectacle dédié à celui-ci. Carrière a été secrétaire particulier de Giono pendant plusieurs années. Il exerçait différents boulots alimentaires et rendait visite à Giono, lui montrait ce qu’il écrivait. Carrière, également critique musical pour Radio France, réussit même à interviewer Giono, qui était une superstar dans ces années 60-70, pour France Culture. Je suis tombé sous le charme de la littérature de Jean Carrière et ai décidé de l’incarner déjà dans ce spectacle consacré à Giono. Malheureusement, il était malade et est décédé avant que j’aie pu le rencontrer, mais j’ai connu sa famille lors de son enterrement. Carrière a reçu le Prix Goncourt en 1972 pour « L’épervier de Maheux », et ce fut un des Goncourt les plus vendus de l’histoire. Mais à la suite du prix, c’est la descente aux enfers, il tombe en dépression, divorce, son père décède… Je trouvais original un écrivain qui parle de ses affres dans l’écriture, de l’angoisse de la page blanche, de son lien avec la médiatisation. Dès 2015, je propose à Emmanuel, son fils ainé, d’adapter son livre « Le Prix d’un Goncourt », qui raconte cet épisode, pour le théâtre, et j’ai réussi à trouver le temps de me plonger dans cette adaptation dense lors de la pandémie.

Peux-tu nous décrire les thèmes principaux abordés : l’enfance, la nature et le rapport à l’écriture ?
Pour Carrière, l’enfance représente un paradis perdu. C’est un sentiment que j’ai toujours ressenti également, mais à un degré moindre. Dès dix-sept ans, il devient adulte et les contingences des adultes lui font perdre sa connexion au monde, à la nature notamment. Son écriture devient une quête du paradis perdu, transposée à travers divers personnages et époques. Ses personnages, dans « L’épervier de Maheux » ou « La Caverne des Pestiférés » ont une vie intérieure basée sur l’enfance, les premiers émois, les premières odeurs, les maisons familiales… L’état d’enfance est, pour lui, un être au monde sans calcul ni projection, au présent, proche de l’état de Bouddha. C’est un écrivain qui se débat avec les problèmes du présent issus des blessures du passé, et c’est cela qui donne une profondeur à sa littérature. Mais c’est aussi un auteur qui a une grande culture. Ce n’est pas un écrivain facile, mais j’ai essayé de le rendre accessible dans ce spectacle. Il n’était pas fait pour la célébrité et tout ce que les gens ont demandé de lui après son prix : une interview, une préface, un autographe… Il se débat avec ce prix littéraire le plus prestigieux, surtout à ce moment-là où la vidéo était moins présente. J’aime cette confrontation avec notre époque de médiatisation à outrance, où le moindre faux pas fait le tour du monde et où le paraitre devient plus important que l’être, ou l’œuvre.

Parle-nous de ta mise en scène, et notamment de la place de la musique dans cette pièce ?
Avant d’écrire, Carrière était critique musical, considérant la musique comme l’art suprême. Sur scène, j’ai la chance d’avoir avec moi un grand musicien, Raphaël Lemonnier, pianiste de jazz à la carrière internationale qui a travaillé avec China Moses ou Camille. Carrière adorait le jazz, Oscar Peterson, Charlie Parker, ou des musiciens classiques modernes tels Ravel, Debussy ou Fauré, et nous créons des variations autour de ces thèmes pour refléter la passion de Carrière pour cet art. La bicyclette était aussi un aspect important de sa vie, pédalant pour oublier et être au grand air. Cette passion lui vient de son père. J’ai décidé de raconter une partie de son histoire en étant moi-même sur un vélo et en utilisant des rouleaux d’entraînement, devant un écran où des paysages et des ambiances abstraites défilent. J’utilise d’ailleurs le vélo de Jean Carrière qui m’a été prêté par Emmanuel. Cette bicyclette est également une métaphore de la course constante pour atteindre quelque chose qui semble toujours hors d’atteinte. Un troisième acteur, Thierry Paul, lui, est chargé de camper les autres personnages importants dans le récit.
Fabrice Lo Piccolo

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