Roger Boubenec – Un art au service de la nature

Inspiré par des grands noms comme Caspar David Friedrich ou Joseph Mallord William Turner, Roger Boubenec nous dévoile une nature emprunte d’empathie, de compassion et de partage au travers d’une exposition colorée et pleine de vie. Des sentiments enfouis, un amour pour le monde, le souhait d’une reconnexion aux choses essentielles et un sublime qui se manifeste à travers le ruissellement de l’eau et l’utilisation de végétaux, sources de toute vie… Une philosophie de vie exprimée par un art sensible et réceptif à tout ce qui l’entoure.

Vous exposez à la Maison du Cygne « Les souvenirs viennent des bouches de fontaines ». Que signifie ce titre ?

Le titre de mon exposition induit en réalité les souvenirs « oubliés ». Ce serait donc tout ce qui nous ramène loin en arrière dans la mémoire universelle car, initialement, nous venons de l’éponge et du polype. Dans notre patrimoine génétique, sont inscrites toutes ces intuitions, que nous retrouvons dans nos rêves. Le philosophe Bachelard nous dit que nous avons des intuitions poétiques quand nous rêvons : le vol, l’eau, le végétal… Nous avons du mal à les saisir, ce ne sont que des intuitions. Les aborigènes parlent des rêves comme d’une autre réalité, il y a une part de vérité dans cela.

Pourquoi le milieu aquatique vous inspire tant ?

Lorsque j’étais petit, c’est mon grand-père qui m’a appris à sculpter et à dessiner. C’était un marin, un homme de voyages. Il m’a transmis ce désir de voyager et j’ai arrêté l’école classique assez tôt. Je suis alors rentré en école militaire et suis devenu nageur de combat. J’ai même ouvert une école de plongée. J’ai donc passé une grande partie de ma vie sous l’eau. Dans le même temps, j’étais artiste, j’exposais en galeries. L’univers aquatique que je représente dans mes toiles est donc la réunion de ces deux passions. Mais l’eau n’est pas le seul élément qui m’inspire. Je contemple le sublime du monde qui nous entoure et je cherche à le représenter.

Quelles techniques utilisez-vous pour réaliser vos œuvres ?

Je cherche à représenter ces souvenirs oubliés grâce à une technique de ruissellement de l’eau sur des pigments. Je crée des couleurs à partir d’un mélange de pigments, de gomme arabique, et parfois de miel. J’utilise aussi des éléments naturels, des fleurs, du géranium… Ces différents éléments se mélangent sur la toile. Grâce au ruissellement, je laisse l’inconscient universel s’exprimer, au travers du mélange des couleurs, de l’eau et des végétaux. L’eau est inscrite dans notre imaginaire poétique. Au travers de l’aquarelle, j’exprime tous les ressentis que je peux percevoir sur un visage, un corps, dans un paysage… C’est une interrogation sur la fragilité de notre place dans le monde tel qu’il est. Avec le ruissellement, les différents pigments s’inscrivent dans les fibres du papier créant de nombreuses nuances de couleurs. Celles-ci peuvent se modifier selon les matériaux utilisés sur la toile. Du géranium mélangé à du vermillon créeront une couleur sienne, presque ambrée. J’invente des techniques qui rendent l’aquarelle plus sensuelle et proche de l’être humain.

Vous cherchez donc à représenter la nature qui nous guide et influe sur nos émotions, comme si elle était ancrée en nous, au même titre que nous sommes ancrés en elle ?

Au travers de mon art, je souhaite exprimer une forme d’intelligence universelle, comme exprimée dans les cultures aborigènes, peuples brimés par l’esprit occidental. L’intelligence de l’homme est intimement liée à celle des animaux, des arbres… Nous, êtres humains, avons eu l’arrogance de bannir toutes ces autres formes d’intelligences pour mettre notre culture occidentale en exergue. Dans mes tableaux, je redonne sa place à l’esprit de la nature. Je me sens proche également de la philosophie bouddhiste. Dans «  Le Repos du Bouddha », tableau dans les roses, rouges vermillons et carmins, des couleurs récurrentes en Inde, j’évoque l’interdépendance prônée par le Bouddhisme. Cette religion développe l’idée de la permanence : tout ce qui vient sur Terre finit par disparaître, et renaît dans un nouveau cycle.

Quel est le point de départ d’une œuvre ?

Je peux imaginer un projet, ou partir d’une phrase qui m’a touché. Par exemple, l’œuvre « L’Amandier sur la mer » est inspirée d’Albert Camus qui parle de la fragilité des fleurs d’amandiers qui « disparaissent comme la neige au soleil ». Une fois le projet choisi, je travaille avec les empreintes et l’aquarelle. Les végétaux créent des couleurs inattendues, les trajets aléatoires des ruissellements entraînent des incidents, de l’imprévu, les formes et les reflets se choisissent eux-mêmes, et m’emmènent vers d’autres idées…

Vous donnez également des cours au Relais Peiresc ?

Je donne des cours d’aquarelle au Relais Peiresc à Toulon, un centre culturel où sont proposés divers ateliers sur la philosophie, les langues, la peinture, ouvert à tous… Mais, comme nous sommes dans le collège, j’ai la chance de pouvoir donner également mes cours d’aquarelle au sein du cursus classique d’Arts Plastiques à destination des collégiens. Je leur fais découvrir toutes mes techniques : le ruissellement, les empreintes, les incidents, auxquelles j’ajoute les cristallisations du sel ou l’apport de pastel gras et sec…