Sandra Mauro, Christine Heitzler, Hubert Millet : d’électrons libres à Particules Complémentaires.

Au coeur du Parcours des Arts se trouve un lieu pas comme les autres, un atelier-espace d’exposition qui appartient à trois plasticiens. Ils y conçoivent leurs oeuvres chacun de leur côté puis s’y retrouvent et le transforment en terrain de jeu pour exposer leurs oeuvres ensemble.

 

Quelles sont les spécificités de chacun de vos travaux ?

Christine : Je souhaite peindre les correspondances entre l’intérieur du corps et les paysages. C’est un va-et-vient permanent entre les deux : réseaux sanguins et branchages, respiration et vent. Les sensations prennent racine à l’intérieur du corps, et j’essaie de trouver les moyens picturaux pour rendre l’œuvre vivante, que la vie soit visible à la fin. Je privilégie le travail sur papier, avec différents formats, des superpositions, des trames. Mes derniers travaux sont plus transparents, parfois avec du calque, le dessous transparait. Cela représente ce regard qui va de l’intérieur du corps vers l’extérieur. Les matériaux s’inventent au fur et à mesure de ce que nous inscrivons sur la toile. Nous adaptons la technique pour traduire une impression. Le besoin nait du désir d’exprimer quelque chose. Ce n’est pas simplement l’application d’un recouvrement, ni un savoir-faire qui s’améliore de toile en toile, mais plutôt un débordement de ce savoir-faire pour l’expression d’une idée. On invente sans arrêt nos techniques, nos moyens d’expression, on creuse. J’ai besoin d’inscrire des émotions que je ressens et de les faire ressentir par le spectateur. J’exprime mes sensations, la peinture est une nécessité, même si on ne peut pas peindre pendant quelques temps, le travail intérieur continue.

Sandra : Dans ma peinture, je m’intéresse à l’entre-deux, entre apparition et disparition de la forme. En ce moment je travaille sur un sujet banal : la fleur.  Mais je veux l’aborder différemment, par le recadrage, par le flou… J’aime jouer avec ce que je vois, prendre de la distance, aller capter une couleur, une forme. Le sujet est là en filigrane, mais il s’échappe, revient, repart. On perd le motif par le geste. J’ai également besoin d’être absorbée par la couleur, d’une intensité. J’ai une pratique essentiellement bidimensionnelle mais sur supports différents : toiles, photos, qui restent pour moi des peintures. Au final, la forme reste légèrement présente par la couleur ou par un fragment. La structure se trouve au fur et à mesure, je ne prémédite pas, c’est une aventure, une expérimentation. On poursuit quelque chose, sans vraiment savoir quoi, mais avec un fil directeur. La forme finale peut prendre l’apparence d’une expression ni abstraite ni figurative, cette image que je n’avais pas vraiment pensée au départ mais que j’ai portée tout le long.

Hubert : Pour mes volumes, j’ai trouvé un media qui s’appelle la tôle polie. Je soude des tôles ensemble, les gonfle à l’air et les déforme. Le résultat est à chaque fois différent, c’est la magie du métal. Mon but est d’y lire, en tant que contemplatif, les reflets qui s’y forment. La forme du métal, tout en douceur, n’est qu’un prétexte. J’utilise des tôles, c’est insipide, le contraire du glamour, et je les rends organiques. Je profite de cette déformation aléatoire. Je suis un passionné de photo, j’ai travaillé dans la photo de mode. Ça m’a appris à regarder, à corriger. Dans la photo, il y a une exigence de rendu de beauté, de forme, de couleur. C’est très formateur. Dans ces volumes, je fais en sorte de montrer ce que je vois, je forme mon media pour permettre de voir ce qui se passe dedans. C’est magique et éphémère. Le point de vue change la vision, l’environnement d’exposition est donc fondamental. La forme que je crée n’est pas reproductible. Ce qu’on y voit est très étonnant, et chacun peut y voir ce qu’il veut. Le volume est accessible, mais après il faut aller chercher plus loin. J’expose parfois, comme ce fut le cas à la Tour des Templiers, des photos avec des morceaux recadrés de reflets, qui créent des tableaux. On touche un peu l’infini, une extravagance infinie. Je cultive aussi le côté usurpateur, je me sers de ce qui a autour pour photographier. C’est comme un portrait, ça saisit un moment, c’est le culte de l’instant.

 

Comment est née cette idée de complémentarité ?

Sandra : C’est une question d’amitié. Nous avions le désir de montrer ensemble et nous sommes rendu compte que nos pratiques étaient compatibles, d’où ce nom Particules Complémentaires. Les particules sont distinctes les unes des autres, et, quand elles se rencontrent, elles s’attirent et font naitre quelque chose de nouveau. Nous mettons nos œuvres au centre de l’espace d’accrochage, et nous les rejouons, en les scénographiant. Nous trouvons des liens, des échanges, des passerelles. Tout dépend du lieu. A la Galerie Garnier à Sainte Anastasie, c’était une ancienne cave viticole, l’espace était très grand, les cuves étaient ouvertes et on voyait leur revêtement. A travers notre scénographie, nous revisitons ces lieux. C’est un jeu, on arrive avec nos jouets, et on trame, on tisse ensemble, on fabrique une proposition. Nous travaillons nos propres démarches personnellement puis nous retrouvons et trouvons des liens, que l’on n’avait pas imaginés au préalable. Cela nous intéresse autant que nos pratiques seules. Le choix des thèmes des expositions est important, mais il émerge après-coup, c’est ce qui fait que ça reste vivant, c’est ce qui nous anime. Cela fait vingt-cinq ans que je connais Christine, nous avons déjà eu deux expériences d’atelier ensemble. Celle-ci va plus loin, elle est plus ancrée dans une démarche d’aboutissement, ce lieu concrétise notre échange. Il y a quelques années Hubert est entré dans notre sphère et en 2014 nous avons commencé à travailler ensemble. Nous avons trouvé que les volumes d’Hubert donnaient une dimension intéressante à nos travaux, que l’échange était fructueux.

Notre première exposition en décembre s’appelait : Annoncer la couleur, avec une double symbolique. Récemment avec l’exposition Expansion venait l’idée de s’étendre. Et nous avions fatalement débordé. D’où l’expo actuelle Débordement. Nous sortons du cadre, les reflets débordent, des morceaux de papier sortent du format, les liens entre les œuvres débordent, jusqu’à l’extérieur de notre espace. Dans ce que nous appelons le White Cube, il y a des décalages, des superpositions, l’apparition du mur d’exposition… Aujourd’hui, dans les propositions d’artistes la peinture sort de ses gonds, on cherche ce que l’on peut dire en peignant, c’est important dans l’histoire de la peinture qui est un medium ancien. Il est passionnant de se dire : que va-t-on faire aujourd’hui ? de s’aventurer dans la nouveauté.

 

Quel est votre regard sur le Parcours des Arts ?

Il nous a permis tout ça. Il a donné corps à notre envie d’avoir un lieu de fabrication et de démonstration en même temps. Nous n’appelons pas cela la galerie mais La Vitrine, le lieu est pour nous et par nous. C’est une excellente initiative de la part d’une ville touristique, avec un joli centre-ville. Ces centres-villes ont besoin de vie culturelle, le public est content de s’y retrouver pour boire un verre, déambuler. Cela crée une proximité avec l’autre, on sort de sa vie quotidienne. Dans le parcours, les artisans et artistes offrent ce petit plus dans une journée, ils offrent des surprises aux gens. Quant à nous, le public commence à s’intéresser à notre démarche, à revenir voir ce que l’on a pu concocter. On fait de belles rencontres, on parle d’art ensemble. Les gens sont soit eux-mêmes artistes, soit y sont sensibles, soit sont en recherche de surprises. Dans le futur ce serait bien de créer des liens avec les Centres d’Art locaux.

 

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