The Brian Jonestown Massacre – Rester vrai
Pointu Festival – Du 7 au 9 juillet à Six-Fours
Anton Newcombe, l’homme qui se cache derrière The Brian Jonestown Massacre, crée, depuis plus de trente ans, son propre rock, tantôt rock psyché – le nom du groupe étant bien sûr un hommage au guitariste fondateur des Rolling Stones, Brian Jones – tantôt garage, folk ou shoegaze, mais toujours indépendant. Il sera sur la scène du Pointu Festival pour une performance qui marquera à n’en pas douter les esprits.
J’appelle Anton par Zoom, c’est rarissime. Il « m’accueille » chaleureusement dans son studio berlinois, me montre un artiste derrière un micro : « C’est Julien Gasc, je l’aide à enregistrer un album. Ce n’est pas un studio commercial, j’essaie d’aider les artistes à faire des disques, si j’aime la personne, je vais l’aider. J’ai aidé The Limiñanas au départ par exemple, j’essayais de convaincre les programmateurs de les faire jouer, maintenant tout le monde les veut ! »…
Après trente ans de carrière, comment réussissez-vous à rester indépendant, sans compromission, sans maison de disque ?
J’en ai parlé dans le film que l’on a fait sur nous, “Dig!”. Tout le monde dit que j’ai laissé passer toutes les opportunités commerciales que j’avais. On m’a souvent proposé de racheter les droits de mes disques, pour 500 000$ ! Mais j’ai toujours dit non, ce sont mes disques, et j’en garde les droits, et en réalité, quand la plupart des artistes gagnent trois euros tous les quatre mois sur Spotify, moi je gagne beaucoup d’argent, car je possède toujours ma musique. Gagner quelques centaines de milliers d’euros pour vendre votre musique, ce n’est pas assez. Louer un tour bus coûte 70.000 €… Il y a peu d’artistes qui arrivent réellement à vivre de leur musique. Ce qui compte, ce n’est pas de faire la une des magazines, mais de comprendre comment le système fonctionne.
Vous venez de sortir votre vingtième album ! Comment arrivez-vous à rester inspiré et à vous renouveler ?
Le secret est d’aimer jouer. C’est fascinant, c’est infini. Quand vous achetez une boite de Lego à votre enfant, il va construire le bateau pirate indiqué. Mais si vous lui enlevez les instructions, il peut faire tout ce qu’il veut avec ces blocs ! Le bateau pirate devient un vaisseau spatial ! Je joue de la musique six jours par semaine, je viens au studio et j’expérimente. Et je partage cela avec des gens. Je vois la musique comme un art conceptuel. Je marche dans la rue, j’entends une symphonie dans ma tête et je me demande : “tiens, j’ai entendu ça où ?”. Mais en fait je viens de la créer à l’instant. Alors je cours au studio et j’appuie sur le bouton d’enregistrement. Il n’y a pas de démo, il n’y a pas d’entrainement, c’est simplement de l’expérimentation. Et parfois je me dis : “tiens, ça, ça peut faire une chanson”. En live, ce que j’essaie de faire, et je n’y arrive pas toujours, c’est de rendre cela bon, de le faire vivre. C’est sur le moment. Vous avez loupé John Coltrane en 64 ? Hé bien ce n’est pas pareil sur disque ! C’est comme un coucher de soleil, c’est éphémère. J’aime rester vrai. Je connais des groupes pour lesquels si c’est le roady qui joue, ça sonne pareil. Moi ce n’est pas le cas, ce sont les mêmes notes, mais il n’y a pas l’esprit, il n’y a pas le feeling. On vit dans un monde plein d’autotunes et de lumières, de danseuses et de subwoofers… moi ce qui m’intéresse c’est jouer de la musique. De plus, je ne me soucie pas du fait que les gens aiment ma musique ou pas.
Justement, qu’est-ce que vous souhaitez faire passer sur scène ?
Ce que je fais, c’est comme du théâtre, tout est dans la suspension d’incrédulité. Quand les acteurs jouent “Hamlet”, il n’y a pas de château, mais s’ils jouent bien, tu ne penses pas qu’ils sont en train de jouer, tu admires juste la dynamique des mots qui volent sur scène. Ça fonctionne ou pas ! Mon but est de ne pas être un mauvais acteur, que les gens y repensent un mois après et se disent : ”c’était bon quand même”. Certains artistes se mettent diverses sécurités pour que leur concert fonctionne toujours, un peu comme un Coca Cola qui a toujours le goût de Coca Cola. Moi, ça ne m’intéresse pas. Ça vit ou ça meurt, je ne fais pas semblant. En général, nous jouons plus de deux heures, mais en festival nous avons un temps limité. J’ai sorti plus d’un millier de chansons, je ne peux même pas imaginer jouer un morceau par album ! On joue du nouveau, de l’ancien, ce qui compte c’est que ce soit bon. C’est pareil quand j’enregistre, je ne me pose pas la question de ce que les gens aiment, ou de ce qui pourrait passer à la radio… Quand tu peins, tu dois peindre suffisamment, comme Rothko par exemple, jusqu’à ce que les gens comprennent. La musique, ce n’est pas comme une start-up qui doit faire du profit !
Vous êtes connu pour jouer de nombreux instruments, vous en avez des préférés ?
Je te montre mon studio, là c’est un orgue Hammond, des synthés, des guitares, des flutes, une batterie… Je commence un morceau à la batterie, je me lève, je joue d’un autre instrument. C’est comme cela que je conserve l’intérêt. Mais comme je t’ai dit, en live c’est différent, j’essaie de rendre les morceaux bien meilleurs que ces enregistrements que je fais !
Fabrice Lo Piccolo