Grégory Mouloudji – Tenir la main de mon père à travers le temps.
Le samedi 4 octobre à l’Espace Comédia à Toulon
À l’occasion des trente ans de la disparition de son père, le chanteur et comédien Grégory Mouloudji a remonté un tour de chant hommage. Mais loin de se limiter à une célébration familiale, ce spectacle tisse un dialogue entre mémoire et création, entre l’œuvre de Marcel Mouloudji et la voix singulière de son fils.
Votre spectacle est à la fois un hommage à votre père et une réinvention personnelle. Comment avez-vous trouvé cet équilibre ?
Pour les trente ans de sa disparition, je voulais marquer le coup. J’ai repris certains de ses textes, mais en les décalant : ce qu’il écrivait à la première personne, je le dis à la troisième, parce que je parle de lui. Ce sont ses mots, mais à travers ma voix. J’ai choisi des chansons célèbres comme « Un jour tu verras ou Le Déserteur », mais aussi des pépites oubliées qui me touchent particulièrement. J’ai ajouté des textes de Prévert, qui sont presque des petites pièces de théâtre. Ce spectacle, c’est un dialogue entre lui et moi, mais aussi avec le public. Je ne cherche pas à l’imiter : je raconte son histoire en la faisant résonner dans la mienne.
Vous mêlez musique, théâtre et confidences. Qu’est-ce qui vous semble le plus important à transmettre au public ?
J’essaie de montrer l’homme qu’il était à travers ses chansons. Elles disent mieux que moi qui il était, car le tour de chant était sa manière d’exister. Quand je chante, j’ai l’impression de lui tenir la main à travers le temps, mais aussi de tendre la main vers ceux qui m’écoutent. J’aime cette proximité qui naît du mélange entre musique, anecdotes et confidences. Ce n’est pas de la nostalgie figée : c’est un moment vivant, où chacun peut retrouver une émotion. Je crois que les chansons créent un lien plus fort que n’importe quel discours.
Vous dites que chanter les mots de votre père, c’est « lui tenir la main à travers le temps ». Comment cette filiation a-t-elle nourri votre propre parcours ?
Mon père a eu une vie incroyable. Très jeune, il a été acteur, il a fréquenté le théâtre d’avant-garde, le groupe Octobre, les surréalistes, Sartre, Simone de Beauvoir… Il écrivait, peignait, chantait, jouait au cinéma. Tout cela m’a nourri. Même quand il ne montrait rien, il transmettait énormément. C’était un homme attachant, parfois maladroit, pas toujours heureux, mais profondément artiste. Grandir à ses côtés m’a appris qu’on pouvait habiter plusieurs mondes à la fois. Ce n’est pas toujours facile d’être « le fils de », mais j’ai trouvé ma voix en acceptant cette double identité : porter sa mémoire tout en affirmant ma singularité.
Pensez-vous que les chansons de votre père parlent encore aux nouvelles générations ?
Oui, absolument. C’est comme du théâtre de répertoire : certaines œuvres appartiennent à une époque, mais d’autres restent étonnamment actuelles. On peut écouter du rap ou d’autres musiques contemporaines, mais si l’on tend l’oreille à la chanson française, l’univers de Mouloudji reste très vivant. D’ailleurs, « L’Amour, l’amour, l’amour », reprise dans une publicité, a touché des jeunes qui n’avaient jamais entendu parler de lui. Aujourd’hui, cette chanson cumule près de 50 millions d’écoutes par an sur Spotify. C’est vertigineux. Cela dépasse de très loin son succès d’alors. C’est la preuve que, bien au-delà du nom, sa voix et ses textes continuent de toucher des générations qui n’avaient aucune raison, a priori, de les connaître. Cette résonance me bouleverse et me conforte dans l’idée que la mémoire de la chanson française est encore un patrimoine vivant.
Grégory Rapuc