Patrick Sirot – Parfois ça pique un peu.
>>« Ça pourrait commencer ainsi… », jusqu’au 4 janvier à la Galerie du Canon TPM dans la Rue des Arts de Toulon
Dessinateur, poète, plasticien, performer et enseignant à l’ESADTPM, Patrick Sirot présente une exposition qui explore les frontières entre l’art et le langage. À travers des dessins, des installations et une performance à venir, il nous invite à découvrir son univers singulier, où se mêlent poésie, dessin et réflexions sur l’état de notre monde.
Patrick, tu es dessinateur, poète, plasticien, performer et bien entendu enseignant à l’ESADTPM. Qu’est-ce qui t’anime ?
J’aime la polysémie de mon travail, cette capacité à jouer sur plusieurs registres. Je pourrais être un illustrateur classique, mais je mets aussi mon travail en espace, je pourrais être un poète ou un écrivain, mais je vais aussi travailler sur des dessins politiques. C’est quelque chose que Roland Topor incarnait parfaitement. Son parcours va d’Amnesty International à Téléchat, du film d’animation à la collaboration avec des journaux. J’aime les terrains où les frontières ne sont pas définies, où le lien entre les éléments devient essentiel. C’est ce que j’essaie également de mettre en place dans ma pédagogie, passant du son à la poésie ou au dessin.
On lit dans ta bio : « Il travaille avec des traits et des mots, du langage en somme qu’il frotte contre l’autre… Parfois, ça pique un peu. »…
Cette description me correspond bien, c’est une citation de Roland Barthes. J’ai toujours été fasciné par les récits, que ce soit à travers la mythologie grecque, les contes pour enfants, ou encore des univers comme ceux du « Freaks » de Tod Browning, de « La Nuit du chasseur » ou de David Lynch. Ces histoires ont toutes un basculement, une frontière entre le réel et l’imaginaire qui renvoie à notre monde actuel. Ici, comme dans la série « Poor Little Circus », je parle de notre société, mais sans être militant de manière directe. Ce sont des métaphores visuelles : un ours qui attaque une femme peut évoquer les féminicides, un autre dessin peut faire écho aux migrants. Je raconte des histoires nourries par la perception de notre réalité, avec une certaine violence parfois, mais aussi une dimension poétique..
L’exposition s’intitule « Ça pourrait commencer ainsi… ». Pourquoi ce choix ?
C’est une référence à un texte de Georges Perec, « La vie mode d’emploi ». J’aime cette idée de quelque chose qui pourrait démarrer, un début qui fixe une situation mais qui invite aussi à se déployer. Cette exposition marque aussi une transition pour moi, car je quitterai mon poste d’enseignant à l’école d’Arts en septembre prochain. Cela pourrait être une fin, mais on peut voir cela comme un nouveau départ.
Quelles pièces retrouve-t-on dans cette exposition ?
Le dessin est mon médium privilégié. Elle est pensée pour cet espace particulier de la Galerie du Canon, avec trois récits distincts. Le premier, très coloré, visible depuis la vitrine, s’intéresse à la vanité de l’existence, avec des squelettes, des mouches, un gros bonhomme, Poupin Orbe, métaphore de notre planète… Dans le couloir, il y a une série de vingt dessins que j’ai appelés « Les locataires », qui font référence à ce même livre de Georges Perec et qui s’intéressent aux paliers d’appartement, et au bout, un dessin mural grandeur nature représentant le vingt-et-unième palier. Le palier, endroit qui appartient à tout le monde et à personne, représente cette situation d’entre-deux qui m’intéresse. Dans le second couloir, le début du « Poor Little Circus », une série de dessins sur bâches plastiques qui évoquent des affiches de spectacles de cirque. Puis dans une autre pièce, des petits squelettes dans des décors en papier découpé, accrochés comme des insectes, face à une énorme phrase « Toute obsession propage un soubresaut du destin », inspirée par Mallarmé, qui évoque mon rapport obsessionnel au dessin, et le fait que mon dessin se transforme en lien au destin de notre monde. Enfin dans la grande salle, la suite de ce « Poor Little Circus », un univers visuellement coloré et joyeux, avec une parade de petits personnages posés sur des étagères de papier, mais dont les actions peuvent déranger. Et ils sont surplombés par trois grands personnages avec des sacs rouges sur la tête, ce qui peut rappeler des condamnés à mort ou suggérer un refus de voir la réalité. C’est une frontière ténue, un équilibre entre quelque chose de joyeux et de terrible, jamais vraiment morbide. Autres éléments importants, une vidéo filmée par Zagros Mehrkian qui montre le processus de création du grand dessin des locataires, deux textes écrits par Claudi Lenzi et Eric Blanco (des éditions Plaine Page), et une maquette d’un des paliers d’appartement réalisée par Camille Sart, ancien élève de l’école. Enfin le 13 décembre, j’organiserai une performance qui mêlera lecture de textes et dessins. Je tiens à remercier TPM, qui a soutenu ce projet, c’est assez rare de pouvoir occuper toute la galerie pour une exposition personnelle.
Fabrice Lo Piccolo